Brigitte Fontaine : Fontaine de vie

Qu’il y ait réellement ou non, à Paris, une adresse portant le numéro soixante-neuf, rue Sardine-à-l’Huile, peu importe. Elle existe bel et bien dans l’univers de Brigitte Fontaine, abritant un couple lubrique qui tentera de séduire une héroïne de quarante-trois ans à la beauté soudainement rayonnante. D’ailleurs, que l’on soit à la mer (de préférence en Bretagne et dans le Midi) ou en ville (essentiellement à Paris), ces délicieuses incursions de fantaisie dans la réalité parcourent toutes les Nouvelles de l’exil, marquées par les obsessions et les fantasmes habituels de l’une des figures les plus iconoclastes de la chanson française. Le livre est ainsi habité par des personnages "en deuil de tout", happés par la détresse des autres, hésitant (mais pas trop longtemps) entre la prison du désir amoureux et la pure indépendance.

Vêtue en vert, en gris ou en indigo, couleurs qui imprègnent l’ensemble de son recueil, Brigitte Fontaine se livre ainsi tout entière, par exemple dans son personnage de P’tit Louis, cet employé de la voierie municipale qui, malgré son bleu de travail un peu trop sale, décide d’entrer chez Pon’s, un salon de thé chic du Luxembourg, tout simplement parce qu’il aime le café et les gâteaux que l’on y sert. Semant l’émoi parmi une clientèle bourgeoise et coincée, "savourant la situation qu’il n’analyse pas", le sympathique ouvrier figure d’ailleurs comme une belle exception parmi une profusion de personnages féminins, allant de la grande dame à la petite fille, toutes amatrices de thé, de champagne, de cigarettes et de belles fringues.

Les dix-neuf nouvelles, écrites au dire de l’auteure sur le coin d’une table au bord de la Méditerranée "en liberté et en direct", partagent une conception originale de l’amour, objet constant de doute ("ceux qui prétendent que l’amour est toujours réciproque se fourrent le doigt dans l’oeil"). Car chez Fontaine on ne semble jamais trop croire à l’affection que l’on nous porte ou à la passion que l’on nous voue, les personnages étant généralement plus à l’aise avec leur solitude et leur confortable médiocrité. Ainsi en est-il de la costaude Hortense Marchandise, cette cuisinière de 51 ans qu’un prince arabe enlève sur un cheval volant mais qui préférerait retourner à ses chaudrons avant de se résigner à être entourée de luxe et de tendresse par l’homme qui l’adore. Quand on n’a pas l’habitude du bonheur…

Nouvelles de l’exil
de Brigitte Fontaine
Éd. Flammarion, 2006, 122 p.

À voir/écouter si vous aimez
Les livres de Brigitte Fontaine: La Limonade bleue, La Bête curieuse…
Ses disques: Genre humain, Les Palaces, Kékéland, Rue Saint-Louis en l’île, Libido…