Young-Moon Jung : Pensées noires
L’écrivain sud-coréen Young-Moon Jung signe une quarantaine de nouvelles imprégnées du passage inquiet dans l’au-delà.
Pendant sa visite d’un site archéologique datant de l’Antiquité, un homme s’aperçoit que le groupe de touristes qu’il accompagnait vient soudainement de repartir à bord de son car climatisé sans avoir remarqué son absence. Abandonné au milieu du désert, des herbes sauvages et de ces vestiges d’une civilisation disparue, il finit par avoir l’intime conviction qu’il ne pouvait en être autrement. Et c’est ainsi qu’à son tour, il se transforme peu à peu en ruine, devenant lui-même une partie du paysage désolé qui l’entoure, "comme un fragment d’image dans un dessin à énigme"…
Ceci n’est qu’un exemple des multiples situations cauchemardesques imposées aux personnages de Young-Moon Jung dans un recueil de nouvelles qui n’a de longuet que son titre français: Pour ne pas rater ma dernière seconde. Qu’il s’agisse d’être euthanasié contre son gré, enterré vivant par ses propres parents ou en attente de son exécution capitale, le protagoniste fait face à un monde éminemment hostile, niant son droit à l’existence, le poussant vers l’au-delà sans daigner lui demander son avis. "Récits d’outre-noir" (ainsi que les désigne le sous-titre du livre), les textes de Jung sont terrifiants, macabres, mais habités d’une tonalité ironique qui, plus souvent qu’autrement, force à sourire.
Car si la peur, l’horreur et l’angoisse sont omniprésentes, il faut comprendre, comme l’exprime l’un des personnages, que "ce n’est là qu’une parcelle de frayeur dont je ne pourrai jamais connaître la totalité". Et puis, "quelle chose rafraîchissante que l’effroi"! À travers différentes destinées fantomatiques qui apparaissent comme autant d’"impostures confortables", Jung mettra donc surtout en scène de ces êtres qui, devant toute décision dans leur vie, n’ont su que reculer. De sympathiques perdants (sportif raté, écrivain tourmenté, curé dont l’église demeure quasi vide) auxquels se mêleront de drôles de dormeurs, réveillés par un cafard dans leurs draps ou par un mystérieux nain à leur chevet, des flâneurs hésitant à rentrer chez eux, parcourant des sentiers qui s’effacent une fois parcourus, rêvant de métamorphose et notant les présages de leur fin prochaine.
On s’amusera surtout du fait que, chez Jung, chaque héros-narrateur – souvent en train de mourir ou bien déjà mort – expérimente une disparition progressive qui n’est pas sans rappeler la croyance bouddhiste d’une mort par étapes, opposée au concept plus radical (et plus occidental) de mort clinique. Prisonnier de son corps pour quelques moments encore, toujours conscient de ce qui l’entoure, le défunt se trouve par exemple forcé d’observer les gestes de l’employé des pompes funèbres qui le revêt de ses derniers habits. Ainsi ne peut-il s’empêcher, tandis que son âme tente de faire la paix et de réfléchir sur son prochain niveau d’existence, d’être encore obsédé par les détails matériels de son ancienne vie sur laquelle il n’a plus aucun pouvoir…
Comptant peu de littérature étrangère à son catalogue, XYZ a donc misé juste pour investir dans ce domaine en proposant la première version française d’un écrivain sud-coréen qui jouit d’une certaine notoriété dans son pays, avec près d’une dizaine d’oeuvres publiées à ce jour. Porté par la belle traduction de Ae-Young Choe et Jean Bellemin-Noël (tandem qui nous avait déjà donné Saisons d’exil de In-Seong Yi), Pour ne pas rater ma dernière seconde témoigne aussi de la vitalité d’une culture que les Occidentaux connaissent davantage à travers sa cinématographie et ses manhwas. Parions que l’éditeur québécois ne s’en tiendra pas qu’à cet unique titre de Young-Moon Jung.
Pour ne pas rater ma dernière seconde
de Young-Moon Jung
XYZ éditeur, coll. "Romanichels"
2007, 192 p.
À voir/écouter si vous aimez
Saisons d’exil du Coréen In-Seong Yi
Les manhwas (mangas coréens)
Idées noires de Franquin…