Michèle Plomer : Bouquet garni
Avec Le Jardin sablier, Michèle Plomer nous offre un herbier ouvert aux saisons et au temps qui passe. Un livre qui détonne dans l’univers romanesque québécois.
Si vous n’êtes pas du genre à vous émouvoir devant la beauté d’une plante ou à vous en faire pour la santé d’une laitue frisée, ce livre n’attirera pas votre regard. Et ce pourrait être dommage, car ce livre – appelons-le roman – qui suit de près l’évolution d’un jardin possède, entre autres qualités, celle de nous sortir d’un créneau très (trop?) souvent investi ces dernières années: celui du roman mettant en scène un jeune urbain moitié attardé, moitié charmant, qui butine d’un bar et d’une fille à l’autre de manière désabusée.
Ici, on sarcle plutôt une langue simple et belle, bien plantée dans l’arrière-pays des Cantons-de-l’Est. Le parti pris est celui de la lenteur et de l’observation de la nature (ou de la vieille dame sage!). Pour seule action: le passage d’un cervidé. Pour seule violence: l’écrapoutillage de la bébitte à patate. Mais j’oublie le principal: on remue la terre et on cerne l’essentiel. Si la "zenerie" vous énerve plutôt que vous calme, Le Jardin sablier, par conséquent, pourrait aussi vous rebuter. Mais encore une fois, vous auriez peut-être tort, car le dépouillement et la précision des phrases, la retenue et l’exposition sobre mais juste des sentiments méritent le détour.
Rien n’est clinquant dans cet univers, et on ne nous joue pas non plus la fausse sagesse ou le mystère à deux sous qui ne fait que masquer le manque de matière. Bref, bien que le premier livre de cette enseignante qui vit présentement en Chine ne bouleverse pas le paysage par un apport hors du commun avec ses 92 pages, on peut souligner le caractère rafraîchissant ainsi que l’humilité de sa démarche. On remarquera également le souffle de l’écrivaine capable de piétiner un même terrain sans jamais tomber dans la redite: les personnages suivent les impératifs de la nature, du temps, dans un espace limité et avec un champ d’actions potentielles restreint, sans jamais, pourtant, sombrer dans l’ennui.
Le livre, plein d’odeurs et de délicates attentions, est aussi le théâtre d’une intrigue amoureuse qui, sans être centrale, rythme bien le récit et assure la poursuite de la lecture pour les irréductibles urbains, insensibles aux charmes champêtres. Le roman est parsemé de petites perles littéraires et de remarques réflexives. Quelque chose, dans l’approche, pourrait faire penser aux livres de Delerm, mais sans la fausse modestie de ce dernier qui finit par avoir raison de ses qualités indéniables. Le regard, sous certains aspects, rappelle aussi la littérature asiatique (le rapprochement est facile…), mais encore là, sans la prétention des phrases courtes censées contenir l’univers (vous comprendrez que je ne suis pas friand des haïkus!). À dire vrai, ce livre très équilibré ne semble rien vouloir prouver et, par le fait même, fait la démonstration qu’en l’absence d’une grande histoire, un style simple et bien mené peut gagner tout lecteur.
Le Jardin sablier
de Michèle Plomer
Éd. Marchand de feuilles, 2007, 92 p.
À voir/écouter si vous aimez
La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm