Patrick Senécal : Sous vide
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Patrick Senécal : Sous vide

Avec Le Vide, Patrick Senécal signe son roman le plus audacieux à ce jour, en s’attaquant au mal qui ronge les sociétés modernes sous la forme du vide existentiel. Entretien.

Le maître québécois du roman noir et d’horreur aura mis trois bonnes années avant de compléter son septième ouvrage, intitulé Le Vide. Rencontré peu de temps après la sortie d’Oniria (2004), thriller fantastique où il disait s’être amusé comme un gamin dans une cour de récré à la suite de l’exigeant Les Sept Jours du talion (2002), Patrick Senécal esquissait déjà les contours de son prochain grand coup. Il disait alors vouloir traiter de la manipulation des foules et de la constante recherche de sens de l’homme dans les futilités de la vie. "Je suis très inquiet de cette absence de motivation, d’idées, propre à notre société. Les seules affaires qui rallient les foules dans les dernières années, ce sont des insignifiances. D’abord, on ne s’intéresse plus à la politique. […] On vit nos vies par procuration. Nous sommes à la recherche de sens, mais on le cherche partout, dans les trucs extrêmes, par exemple, et je trouve cela inquiétant…" disait-il alors.

Cette idée a fait son chemin puissamment dans son esprit, et c’est notamment dans la téléréalité qu’il aura trouvé un des symptômes forts de cet engourdissement. "La télé en général me déprime, mais la téléréalité encore plus. C’est une certaine forme de décadence sociale, une forme de suicide collectif sociétal… C’est une abnégation que de triper sur ces affaires-là, c’est une forme d’abandon. Je me suis dit qu’il fallait que j’écrive là-dessus, mais comment? Je ne voulais pas faire comme tous les petits films qui en ont traité…"

Plaçant néanmoins la téléréalité comme accessoire dans son récit, l’auteur s’est surtout appliqué, dans Le Vide, à dépeindre le mal-être d’une société désillusionnée, aliénée, dont le taux de suicide est au plus haut. "C’est un livre qui m’a fait très peur, atteste-t-il. Je ne voulais pas qu’on me croit misanthrope ou carrément méprisant envers les gens."

MAITRE DU JEU

L’intrigue s’articule autour de trois personnages pôles, dont les fils existentiels s’entremêleront. Pierre Sauvé est un sergent-détective de la police municipale de Drummondville qu’une enquête sur un quadruple meurtre ne laissera pas sans égratignures. Maxime Lavoie est un ex-pdg de compagnie richissime qui s’est recyclé dans la production et l’animation de Vivre au Max, une téléréalité controversée qui agglutine des millions de téléspectateurs chaque semaine. Frédéric Ferland est un psychologue quinquagénaire qui cherche impunément une façon de satisfaire sa soif de sensations fortes pour troubler l’ennui de sa vie taciturne. Autant de personnages qui "sont conscients du vide et qui proposent des solutions différentes".

Fidèle à lui-même, l’auteur n’a pas pour autant renié sa nature en construisant un efficace thriller, croisant intelligemment les récits, allant jusqu’à en brouiller la structure. Assurément, il n’y en aura pas de facile avec ce maître du jeu qui a choisi de mettre ses chapitres dans le désordre, écoulant ainsi l’intrigue au compte-gouttes. Mais la force de Senécal réside néanmoins dans la façon qu’il a de ne jamais juger ses personnages, qui ont ici gagné en aplomb et en densité, sans pour autant s’éloigner significativement des modèles antérieurs. L’auteur signe aussi son thriller le moins gore, lui qui donne habituellement dans les giclées d’hémoglobine combinées à des scènes d’horreur effroyables. Ici, il se fait plus psychologique – sous les précieux conseils de sa psychologue de blonde! -, sans pour autant perdre de l’éclat au rayon de la terreur. "C’est un livre que je n’aurais pas pu écrire il y a 10 ans. C’est peut-être l’approche de la quarantaine… J’espère avoir gagné en maturité. Et même si au bout du compte, c’est mon livre le plus noir, défaitiste, plongé dans un certain marasme, il me semble que j’ai réussi quand même au-delà du pessimisme à proposer une piste ou deux d’espoir…"

LE GOUFFRE

En plus de faire une grinçante critique de la télévision et de ceux qui en sont obnubilés, Senécal fouille aussi ce grand concept du vide et son gouffre béant qui s’ouvre parfois sur une démence incontrôlable. "En fait, le constat, c’est que maintenant, ce qui est rassembleur, c’est le vide. Plus tu proposes quelque chose de vide, plus tu rassembles les gens. Tu veux sortir le monde dans la rue? Enlève-leur un animateur de radio twit et 5000 personnes vont sortir dans les rues. Ou quand les politiciens disent des énormités, ça, ça rassemble les gens! En fait, le vide, ce sont les raccourcis intellectuels, c’est de tout réduire à une formule ou à peu de chose. C’est aussi de se faire croire que la vie a un sens si tu t’amuses tout de suite, maintenant, de la manière la plus intense possible. Le vide, c’est l’illusion du mouvement, du bruit, du dynamisme pour cacher le gouffre. La télévision, la musique, la radio s’efforcent de remplir ce trou par toutes sortes de bruits. On le remplit aussi à coup de bébelles pour remplir sa maison. On écoute les conseils de consommation pour être heureux. C’est pour ça qu’il y a des suicides dans les sociétés riches, parce qu’on remplit nos vies de choses avec les iPod, les laptops, les films, la musique, mais on ressent tout de même le vide. Qu’est-ce qu’il y a à faire alors? Aussi bien crisser son camp! Mais il n’y a jamais personne qui leur a dit: "Mais parle, communique, ouvre ton esprit, réfléchis, cultive-toi …"", conclut-il.

Le Vide
de Patrick Senécal
Éd. Alire, 660 pages

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5150, rue des Ormes
Sur le seuil
Les Sept Jours du talion