Carole Massé : En mémoire de lui

Tout récemment, le débat sur les "romans historiques" faisait grand bruit dans tous les camps, pourfendeurs et défenseurs, qui cherchaient à attribuer à ce genre un créneau particulier dans la déclinaison des formes littéraires ou pas.

Le roman historique apparaît pour certains comme un genre "faux", étant donné l’antinomie de l’invention romanesque et de la discipline historique. Mais il tend à se faire une place, accumulant les ventes à la même vitesse que l’espace sur les rayons ou parmi les vitrines des librairies, installé bien confortablement dans ce monde où les paysages et les figures d’antan figurent à la tête des palmarès de l’imaginaire d’aujourd’hui.

Il n’en demeure pas moins que de grandes réussites en proviennent, comme Secrets et pardons de Carole Massé.

Carole Massé est l’auteure d’une oeuvre forte, dense, au questionnement théorique fécond; une écriture des abîmes d’où s’extirpe une mémoire ayant rompu avec les dogmes, personnelle, vive, pour se faire collective dans un voyage à travers le sens et les formes. S’ajoute maintenant un voyage à travers le temps.

Si ses premiers romans (le triptyque familial que forment Dieu (1979), L’Existence (1984) et Nobody (1985) aux Éditions Les Herbes rouges) visaient à une certaine déconstruction du matériau romanesque dans ses fondements et son articulation, avec Secrets et pardons, on assiste à cette étape non moins frappante d’une écriture de la reconstruction. "Tout est passé. Le présent nous échappe complètement et l’avenir n’existe pas."

Cette oeuvre de la mémoire restituée révèle l’histoire d’un homme et d’une femme aux prises avec les avancées, de même que les retours d’un passé clair, pour l’un, et nébuleux, pour l’autre. Jude Langlois, un tailleur de pierre tout de fougue et de poésie, revient à Montréal, en 1887, au terme d’un long séjour aux États-Unis. L’enthousiasme et la curiosité que suscite le retour de cet homme dans son entourage semblent toutefois échapper à Alice Roy, elle qui en aurait été très proche à l’aube de sa vie. L’amnésie d’Alice dévoile alors les lieux de cette reconstruction, celle de la mémoire, celle de la vie enfouie, celle de l’oeuvre même. C’est donc à travers les dires d’une gamme de personnages tous mieux cernés les uns que les autres et d’un inconscient trouble que se refera, par pièces, une mémoire effacée par le temps.

Ce passé recomposé dans un souci classique des formes que suggèrent ainsi ces Secrets et pardons comme une quête magnifique de sens, de vie et de mémoire, vient ponctuer l’oeuvre de Carole Massé d’une vitalité neuve. Ainsi, l’écriture s’y fait moins brusque et trouve dans un ton qui surprend par sa candeur nouvelle un endroit où respirer et croître différemment.

Une oeuvre venant rompre avec la rupture, donc, une oeuvre courageuse où la mémoire traverse un souffle propre à l’une des voix les plus justes de ce temps.

Secrets et pardons
de Carole Massé
VLB éditeur, 2007, 624 p.