Gregory David Roberts : Sauvez mon âme
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Gregory David Roberts : Sauvez mon âme

Gregory David Roberts se penche sur ses années de cavale indienne dans Shantaram. Un roman-fleuve fascinant et doté d’un humanisme rare.

La fortune de Shantaram (traduit en 17 langues depuis sa parution originale en 2003 et en cours d’adaptation au cinéma avec Johnny Depp dans le rôle-titre) ne saurait être réduite à un banal succès commercial. La genèse du livre, rédigé dans des conditions extrêmes et sur une période de treize années, constitue rien de moins que l’une des plus singulières aventures de la planète littéraire actuelle.

Impossible d’aborder le roman sans rappeler la matière autobiographique qui l’a suscité. À vingt-quatre ans, Gregory David Roberts divorce et se voit refuser la garde de sa fille. Il en perd la boussole, devient accroc à l’héroïne et commet une série de vols à main armée pour payer ses dettes. Condamné à dix-neuf ans de prison, il s’évade au début de sa peine et s’envole pour l’Inde à l’aide d’un faux passeport. Roberts séjournera pas moins de dix ans à Bombay, avant d’être repris et renvoyé dans son bagne australien. De retour à la case départ, il rédigera Shantaram "dans le sang et dans les larmes", perdant souvent espoir de l’achever, deux premières versions du livre étant détruites en prison.

Dès le début de son roman, l’alter ego de Roberts débarque ainsi dans la Bombay des années 80 avec pour seul bagage une énorme trousse de premiers soins reçue en cadeau. Se faisant passer pour un Néo-Zélandais du nom de Lindsay (que les Indiens réduiront à Lin), le fugitif suit le conseil d’un nouvel ami, l’honnête Prabaker, et s’installe dans un bidonville où l’expiration de son faux visa ne lui causera pas de souci. Surmontant sa répugnance première du lieu, il y deviendra une personnalité en maîtrisant rapidement le marathi, l’hindi et l’urdu, et en mettant sur pied un petit dispensaire grâce à ses connaissances en secourisme et à son matériel médical. Lin se méritera bientôt le nom de Shantaram ("homme de paix" en marathi) et collaborera à la survie même du bidonville lorsque éclate une épidémie de choléra.

Mais parallèlement à sa vie dans le bidonville, "espace miraculeux" et seul capable de lui offrir une éventuelle rédemption, Lin ne cesse d’entretenir des liens avec la mafia de Bombay, dirigée par un parrain d’origine afghane, Abdel Khader Khan, "criminel, saint et philosophe" pour qui il développera un véritable amour filial. Graduellement, il deviendra l’un des bras droits de Khader, occupant le rôle du "gora" (le Blanc de service) dans son conseil, avant de diriger le lucratif secteur de la contrefaçon. Acquérant puissance, honneur et amitiés parmi les gangsters, Lin délaissera graduellement le bidonville pour les hôtels cinq étoiles, son statut l’immunisant contre les forces policières corrompues.

LA QUÊTE

Ce curieux antagonisme entre deux milieux où il évolue avec une égale aisance traduit bien le caractère complexe du personnage, humaniste et poète que son statut de fugitif empêche de s’intégrer à toute structure légale. Il faut dire que, même entouré de nouveaux amis et aimé par les femmes, Lin ne guérit jamais vraiment du mal qu’il a infligé à sa famille australienne, ayant perdu tout espoir de la revoir un jour. Sa foi en l’humanité reste pourtant intacte malgré les tortures subies en prison et à défaut de croire en Dieu. Seul à n’avoir jamais tué un homme, Lin est en effet aussi le seul athée membre du conseil mafieux, ses collègues musulmans et hindous priant leurs dieux avant de commettre les pires crimes.

Animé par les questions philosophiques de l’éthique, du sens et de la finalité de la vie, mises dans la bouche et sous la plume de Lin, Gregory David Roberts se montre curieusement indifférent aux rituels et aux lieux sacrés de l’Inde, si populaires auprès des Occidentaux en manque de spiritualité. Son envoûtant premier roman se voudra donc surtout un hommage aux êtres humains dans les circonstances de la vie ordinaire, "capables de transformer leurs vies par un simple acte d’amour", ainsi qu’aux charmes de la "cité dorée", cette Bombay sale et dangereuse, où son héros retrouvera une partie de son âme.

Shantaram
de Gregory David Roberts
Traduit par Pierre Guglielmina
Éd. Flammarion, 2007, 872 p.

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Shantaram
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Gregory David Roberts
Flammarion