Jean Lemire : Vingt mille lieues sous l'équateur
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Jean Lemire : Vingt mille lieues sous l’équateur

Jean Lemire, biologiste, cinéaste et chef de la Mission Antarctique, est revenu changé de son expédition au pôle Sud. Il nous parle de l’aventure humaine derrière cette année et demie d’isolement et de l’urgence d’agir. Conversation avec un invité d’honneur tout désigné pour un SLO très vert.

On dit de Jean Lemire qu’il raconte bien les histoires marines, comme on l’imaginerait d’un capitaine de roman. Mais de son propre aveu, il écrit mieux. Pendant toute la durée de Mission Antarctique, il a tenu un journal de bord en ligne, un carnet poétique et passionné. Comme si le scientifique en lui avait cédé le pas à l’artiste. "C’est par les histoires que je réussis à créer des images qui touchent les gens, simplement en montrant la beauté et la fragilité du monde, explique-t-il par téléphone. Et quand on réussit à toucher l’âme du public, c’est le meilleur message de sensibilisation qu’on peut apporter, au-delà de tous les discours verts." Les deux conférences qu’il donnera dans le cadre du Salon du livre de l’Outaouais (SLO) – dont une strictement réservée aux étudiants du cégep de l’Outaouais – s’inscrivent dans le même esprit: raconter l’aventure humaine derrière l’expédition scientifique, poursuivre cette relation d’échange amorcée avec le public par l’intermédiaire du site Web. Près de 830 000 personnes avaient alors suivi de loin l’équipage dans sa mission (sur www.sedna.tv). Mais cette fois-ci, Jean Lemire sera là en personne et accompagné d’une quarantaine de minutes d’images rapportées de son séjour en péninsule antarctique.

Si le capitaine de l’expédition a contribué à conscientiser des milliers de personnes quant aux changements climatiques, lui aussi a été marqué par cette année et demie passée sur la mer et les glaces. "C’est fantastique, on a passé 430 jours à réfléchir sur qui on est et qui on aimerait devenir, inspirés par une nature vraiment impressionnante", raconte-t-il.

Le retour, on s’en doute, est difficile. Ils étaient seuls, entourés de silence, de paysages sauvages et d’animaux qui ne les craignaient pas, puisque les hommes par là-bas sont plutôt rares. Évidemment, ils en sont revenus transformés. "C’était comme si l’humain faisait partie intégrante de la nature au même rythme que les phoques, les baleines, les oiseaux, se souvient M. Lemire. On oublie souvent que la nature, c’est plus que l’endroit où on va se recueillir les week-ends. C’est ce qui soutient la vie. C’est cette réflexion qui a changé ce que nous sommes, et j’espère qu’on va réussir à conserver cette sérénité intérieure que le voyage nous a procurée."

AGIR MAINTENANT

Quand on l’écoute parler de ce voyage au pôle Sud, où les changements climatiques se font sentir plus intensément et plus rapidement que n’importe où ailleurs sur la planète, on est saisi par l’urgence d’agir. Pour Jean Lemire, si le changement est déjà amorcé, il n’est pas trop tard. Le réchauffement est inévitable, soit. La nuit la plus froide, là-bas, le mercure est paresseusement descendu à – 14° C. Cet hiver-là, dans leur secteur, il n’y a pas eu de banquise. D’ici 10 à 20 ans, cela pourrait signifier une extinction locale de certaines espèces qui dépendent de la glace. Et l’Amérique du Nord n’échappera pas aux conséquences qui affectent maintenant l’Antarctique: déjà, la sécurité publique a publié des avis de délocalisation dans les petits villages côtiers de Baie-Comeau, à cause de l’augmentation du niveau de la mer. Mais c’est justement le moment de poser des gestes, selon lui, individuellement et collectivement: "C’est à nous de déterminer quel type de réchauffement nous voulons pour le siècle à venir: deux degrés, trois degrés, quatre degrés. Il y a en ce moment un énorme défi à relever, et ça doit absolument passer par un mouvement social très fort. C’est pour ça qu’on veut essayer de changer l’espèce de morosité qui s’installe quand tout le monde dit qu’il est trop tard."

Les changements passeront par les efforts individuels. Et par ceux des communautés. Jean Lemire cite en exemple l’action d’enfants du primaire qui ont réussi à réduire radicalement le nombre de déchets hebdomadaires dans leurs écoles. Les initiatives et les idées des groupes étant quasi infinies, Jean Lemire et son équipe les compilent et les publient via leur site Web. Ils aimeraient créer ainsi un effet boule de neige qui culminerait en un grand spectacle environnemental cet été. "Si on arrive à prendre conscience du pouvoir de notre pouvoir d’achat, on va arriver à influencer les grandes industries et là, on va s’enligner vers quelque chose de très important", croit-il. À preuve, l’environnement est un enjeu politique en ce moment. Mais est-ce que pour autant les partis ont réellement compris l’urgence des changements ou n’est-ce qu’une nouvelle façade à l’approche des élections? "Ils vont s’investir en environnement parce qu’ils n’ont pas le choix de le faire, résume M. Lemire, parce que la population en a fait une priorité. De là à dire que les gouvernements ont vraiment une conscience environnementale… ce n’est pas ce que je dis du tout."

Au moment de lever l’ancre de la péninsule antarctique, Jean Lemire écrivait: "Nous tournons avec vous une page dans le grand livre de nos vies, comme un témoignage inachevé qui ne saurait mourir." À voir le nombreux public qui continue à s’impliquer et à suivre les discours du capitaine, on se dit que son témoignage ne sera pas tombé dans l’oreille de sourds.

Le 2 mars à 19h30
À l’auditorium du cégep de l’Outaouais
Jean Lemire participera également à une table ronde intitulée Changements climatiques, la dure réalité et donnera une entrevue en direct du SLO à l’émission Le Monde selon Mathieu de la Première Chaîne de Radio-Canada.
Info: www.slo.qc.ca
www.sedna.tv (en ce qui a trait à la série d’activités qui aura lieu cet été sur le voilier, dans le Vieux-Port de Montréal).