Grégory Lemay : Au-delà du rire
Grégory Lemay raconte des vacances en apparence banales, mais durant lesquelles les personnages vont se dévoiler en profondeur. Rencontre avec l’auteur du Roman de l’été.
Jeune romancier, il a déjà pratiqué l’enseignement et le journalisme, et, sous le nom d’Et Gregor, il occupe présentement une place de choix en tant qu’auteur-compositeur sur le palmarès francophone de CISM avec Je ne veux pas te connaître. "J’ai toujours fait de la musique; ado, j’étais dans un groupe hardcore, ensuite, j’ai étudié en interprétation classique à Sainte-Thérèse et ça m’a écoeuré de la musique au point que j’en ai presque fait un traumatisme!"
Grégory Lemay a ensuite mis sa guitare de côté pendant plusieurs années, jusqu’à dernièrement, où il s’est mis à la chanson. Mais l’arrêt lui a permis, d’une certaine façon, de mettre sérieusement son énergie sur l’écriture et de devenir un écrivain professionnel. À part l’effet d’entraînement mutuel des deux formes d’art, que reste-t-il de son expérience musicale dans son écriture littéraire? "Un certain rythme; je peux même sacrifier du sens pour le conserver."
Après Moi non plus, publié aux Éditions Point de Fuite en 2000, l’auteur poursuit, en 2003, avec Le Sourire des animaux (Triptyque), une écriture qui ne craint ni les élans poétiques très littéraires ni les rythmes syncopés épousant de près la langue parlée. Avec Le Roman de l’été, publié cette fois chez Leméac, l’auteur, qui avait déjà abordé le thème du trio avec son précédent opus, signe maintenant un roman à trois voix, qui, fidèle à ses habitudes, est bref.
SUIVRE LE FIL
Jan, Flave et Pat, les membres d’une famille reconstituée aussi drôle qu’ambiguë, nous entraînent dans un jeu de narration volontairement décousu, mais dont le fil ne se perd jamais. "Je ne suis pas très friand de longues histoires et de romans baroques, donc le choix que je fais au début de l’écriture, je le maintiens. J’installe l’enjeu formel dès le départ et j’en fais une sorte de contrainte que je m’impose. Dans ce cas-ci, il y a des changements de voix et ce n’est pas non plus un pavé… C’est certain qu’en cours d’écriture, je me dis que je pourrais briser ça et m’en aller ailleurs, mais je préfère m’en tenir aux règles que je me suis fixées et je n’ai pas envie d’en rajouter."
Par le biais des trois voix, nous suivons l’histoire qui se déroule, ou se défile, selon les différents regards des personnages. Si le contrat de lecture peut paraître exigeant au premier abord, on oublie rapidement les ficelles du procédé pour s’abandonner dans le récit qui se construit donc comme un puzzle que l’on fait en groupe. On épouse aussi avec aisance les regards alternant, d’un filtre à l’autre, au gré de la psychologie des trois personnages. Puis, on se prend d’affection pour Jésus, ce chien qui fait partie de la famille et de qui l’on attend pratiquement une version de l’histoire.
LES HABITS DE L’ÉCRITURE
Pour Grégory Lemay, les impératifs formels de la création sont là pour servir, pour se rapprocher de l’essentiel. Habiller l’écriture, c’est lui donner un véhicule et des outils pour aller plus loin, pour mieux explorer les sens. "J’ai envie de me laisser aller à une certaine sensibilité à l’intérieur des contraintes. C’est ce que je cherche au fond dans l’installation, qu’il s’agisse du contenu ou de la forme. Ce que j’installe au début, c’est en quoi je vais m’habiller et en quoi je vais me sentir. Je vais avoir une deuxième vie, une vie d’écriture, à l’intérieur de laquelle je vais pouvoir bouger, ressentir, penser. C’est un peu un cadeau que je me fais, en établissant ces contraintes, pour pouvoir vivre une deuxième vie."
Pour ceux qui se demandent dans quel courant s’inscrit sa prose, l’auteur dit se retrouver assez bien dans la littérature américaine: "Pour les deux grandes traditions, celle de Faulkner et de Hemingway, une écriture assez tortueuse d’un côté et une écriture minimaliste de l’autre. J’aime m’habiller entre ces deux pôles. Un personnage comme Jan parle avec des phrases courtes plutôt descriptives, alors que Flave et Pat sont plus tortueuses dans leur manière de s’exprimer et elles ont une intériorité qui demande davantage à s’extérioriser."
Le Roman de l’été
de Grégory Lemay
Éd. Leméac, 2007, 160 p.