Mario Vargas Llosa : La grande séduction
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Mario Vargas Llosa : La grande séduction

Mario Vargas Llosa entremêle avec un doigté fou, dans Tours et détours de la vilaine fille, la petite histoire et la grande. Du grand art.

Le dernier cru romanesque de Mario Vargas Llosa, Tours et détours de la vilaine fille, est une formidable saga historique et amoureuse qui séduit dès les premières pages et capte l’esprit d’une époque tumultueuse. Le grand écrivain péruvien relate avec un style impeccable de naturel la vie d’un couple qui se métamorphose au cours des cinquante dernières années du XXe siècle. Elle, Lily, que l’on a affublée du sobriquet de "la petite Chilienne", est une jeune fille pauvre, sexuellement attrayante et prête à tout, aussi douée pour les disparitions que pour les réapparitions. Lui, Ricardo, est un jeune homme naïf, sentimental et francophile – tout comme son créateur, il est passionné par Flaubert et Balzac. Lorsqu’il rencontre pour la première fois sa belle dans les années 50 à Lima, alors qu’il n’est qu’un adolescent ingénu, il ignore encore qu’elle sera celle qui chamboulera profondément sa vie.

Du Cuba de Castro au Paris des existentialistes, du Londres aristocratique et raffiné des années 1970 au riche et orgiaque Tokyo, en passant par le Madrid franquiste en pleine effervescence culturelle, les deux amants, exilés de leur Pérou natal, se poursuivent pour se rencontrer, et aussitôt après ils se perdent pour se rechercher. Leur amour devient une sorte de jeu cruel et brutal, avec des trahisons, des mensonges, des manipulations. Le destin semble se jouer d’eux.

À travers les combats de sa vie, la "vilaine fille" est amenée à vivre dans sa chair les espoirs, les désillusions et les échecs qui furent le lot des contemporains de la dernière moitié d’un siècle de bruits et de fureurs: la révolution cubaine – Lily devient une farouche guérillera dans le Cuba de Castro -, les incartades de la décolonisation, la faillite politique et économique de l’Amérique latine, la révolution sexuelle des années 70…

Ce roman fascinant, construit avec une prose narrative très efficace, recèle des réflexions sociales, politiques et morales perspicaces. Des thèmes qui ont toujours occupé une place prépondérante dans l’oeuvre littéraire de Mario Vargas Llosa: le désenchantement de la politique, les conséquences délétères des inégalités socioéconomiques, le fléau de la corruption, qui mine les contrées latino-américaines, la débâcle révolutionnaire… Et, bien sûr, le sexe, qui est une façon pour l’écrivain de poser avec humour la sempiternelle question du bonheur, à une époque nébuleuse marquée par la banalité culturelle et les désillusions en tout genre. Vargas Llosa ne se contente pas de décrire le monde qui l’entoure comme un analyste culturel, mais plonge dans l’intimité et révèle du même coup la sienne. Ce récit est celui d’une vie passionnelle, qui ressemble à beaucoup d’égards à celle de l’auteur de Tante Julia et le scribouillard.

Tout l’art de peintre conteur de Mario Vargas Llosa se déploie comme une toile géante, sensuelle et colorée, où se rencontrent deux amoureux piégés par les vicissitudes de l’Histoire, des aristocrates excentriques, des révolutionnaires aux abois… Avec toujours, dans un coin du tableau, cette part d’ombre autour des deux personnage centraux de ce beau récit, qui authentifie l’oeuvre et la rend inoubliable. Magistral!

Tours et détours de la vilaine fille
de Mario Vargas Llosa
Éd. Gallimard, 2006, 416 p.