Dany Boudreault : Zone de turbulences
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Dany Boudreault : Zone de turbulences

Dany Boudreault nous livre un deuxième opus poétique aussi percutant que son titre est lapidaire: Voilà. Une voix qui attrape l’existence par le collet.

Le mot "recueil" traduit souvent bien mal la nature d’une oeuvre poétique. Que le poète rassemble ses textes pour en faire une somme aussi unifiée qu’éclatée ou qu’il travaille selon une perspective d’ensemble à la manière d’un architecte, bon, le terme s’applique, faute de mieux. Or, autant Voilà que Et j’ai entendu les vieux dragons battre sous ma peau (le précédent ouvrage du poète, publié en 2004, et livré sur scène par Marcel Pomerlo en 2005) compliquent la donne. Chacun d’eux se présente comme un long poème. Bien qu’elle ne soit pas neuve (rappelons-nous par exemple Howl d’Allen Ginsberg, L’afficheur hurle de Chamberland), cette pratique s’avère plutôt impopulaire de nos jours. Mais voilà que Dany Boudreault, étudiant à l’École nationale de théâtre, vient la réhabiliter, la faire sienne. C’est qu’il faut du souffle et de l’aplomb pour se risquer dans cette voie, savoir épouser à bras-le-corps le vertige d’un tel saut de l’ange. Et force est de mentionner qu’à ce chapitre, Boudreault ne déçoit pas.

Si parfois "nous allons dans la rue comme dans la littérature / avares de nous-mêmes", on ne peut adresser pareil reproche à ce "je", ce narrateur déployant devant nous ce monologue haletant et brûlant de transparence qu’il tend vers ce "tu", cet amour planté au coeur du texte. "je ne cherche rien / je m’inquiète", lit-on, mais il arrive que l’intranquillité et les défaites du coeur se transforment en une éclaircie impromptue, une grâce, une effronterie: "la joie réussit à cet endroit précis de nous / ne mesurons pas le cri / enthousiasmons-nous / impoliment".

"Impoliment", oui, et c’est avec cette insolence toute célinienne, sensible et tranchante, que cette voix nous mène à travers les affres d’un désir limite ("notre culot torride / aveuglons-nous cette nuit aussi / give me more / notre langue s’évapore"), les désillusions de la mémoire, les épreuves de l’affranchissement ("j’en ai gros à mourir / voilà ma délinquance"), les secousses d’un amour irrésolu ainsi que "l’effroi de ne plus [s’]appartenir".

Ce n’est pas à un poème-fleuve que nous avons affaire mais à un poème-rivière sauvage qui, porté par une urgence presque physique, remonte le cours d’une réalité pétrie de personnages (Ghislain et Johanne, étranges occurrences) et de lieux (Tombouctou, Ottawa, Saskatoon, Hiroshima, sans oublier l’obsédante Pompéi…). Un poème incarné, indiscipliné, qui, à mille lieues du "vouloir-faire-poétique", parvient à composer un même verbe à partir d’une langue soutenue et d’une oralité de rue. En résulte une écriture plurielle jusqu’au coeur, impatiente dans sa manière de dynamiter la syntaxe ("je me dirige vers / je me dis que") et de faire débouler le sens en le fracturant, en épinglant image après image dans le corps du texte comme autant d’instantanés frénétiques, de révélations frontales: "nous mourrons malproprement je le sens / on mange déjà seul à notre table renversée".

En définitive, un livre grave, frais et vibrant. Un solo d’âme qui tranche la nuit.

Voilà
de Dany Boudreault
Éd. Les Herbes rouges, 2006, 60 p.

Voilà
Voilà
Dany Boudreault
Les Herbes rouges