Jean-Christophe Rufin : Objectif: Terre
Jean-Christophe Rufin étonne une fois encore avec Le Parfum d’Adam, qualifié par son éditeur de "premier thriller écolo", appellation un peu prétentieuse et surtout opportuniste pour désigner un roman de fait très réussi, aussi divertissant que porteur de questions fondamentales.
"La nature, ce n’est pas le respect de la vie. C’est l’oeuvre de la mort. Chacun tue et est tué. L’équilibre, c’est l’harmonie des prédateurs. Protéger la nature, c’est savoir qui il faut faire mourir."
Celui qui parle, c’est Harrow, l’un des personnages principaux du Parfum d’Adam. À la tête d’une organisation pour laquelle la sauvegarde de la planète passe par des actions musclées ayant parfois pour cible l’espèce humaine elle-même, celui-ci a tôt fait de balayer les idées reçues relatives aux écolos et à leur lutte tranquille. Et si le premier thriller du Français Jean-Christophe Rufin est si haletant, c’est avant tout parce qu’il rend non pas défendables, mais au moins articulées, quasi légitimes, les positions d’un Harrow et de ses adeptes de l’écologie radicale, selon lesquels l’humanité doit souffrir en retour pour tout ce qu’elle a infligé à la planète bleue.
"Ça faisait des années que j’amassais de la documentation sur ce sujet, nous confiait l’auteur il y a quelques jours, lors d’un bref passage à Montréal. Je ne savais pas trop ce que j’en ferais, pour être franc, mais tout ça me trottait dans la tête depuis un bon moment, cette question des dérives possibles à travers des actions au départ louables; ces excès dans lesquels peuvent s’enfoncer n’importe quels idéaux, passé un certain point."
Sous la plume du médecin globe-trotter, un habitué du travail sur le terrain dans les zones les plus agitées du monde, mais aussi des cercles du pouvoir – il a été membre du cabinet Léotard, ancien ministre français de la Défense, puis attaché culturel au Brésil, en outre -, le gigantesque complot mis au jour, qui aurait semblé tiré par les cheveux chez un autre, est troublant de crédibilité, documenté au possible. "Je m’imprègne de tout ce que je vis, je suis beaucoup dans l’action, mais je pense continuellement au roman que je vais écrire, nous dit-il. Sans toujours m’en apercevoir, je collectionne une grande quantité d’information, de portraits, de détails, et quand je me mets à l’écriture, tout ça remonte."
TERRAIN MINE
Le Parfum d’Adam met en scène Paul, ancien agent secret devenu médecin idéaliste – dans lequel Rufin a mis une bonne part de lui-même, de toute évidence – et Kerry, ancienne coéquipière de Paul, qui a elle aussi retiré ses billes d’un milieu grisant mais qui finit par avaler ses acteurs. À l’invitation de leur ancien patron Archie, qui a quitté la CIA pour démarrer une boîte à son compte, ils vont reprendre du service dans le cadre d’une petite enquête dont ils ne soupçonnent absolument pas jusqu’où elle va les conduire. De l’autre bord, il y a bien sûr Harrow, puis Juliette, une jeune militante écologiste que ses idéaux vont mener plus loin que prévu.
Rufin a déjà fait ses preuves, c’est le moins qu’on puisse dire, dans les registres du roman historique – on pense à Sauver Hispahan (1998), Rouge Brésil (2001)… – de même que du roman d’anticipation avec Globalia (2004). Le pari était risqué de s’aventurer dans un genre qui a ses codes, ses rouages spécifiques. Avait-il des modèles? "J’aime le roman d’espionnage quand il est ancré dans la littérature, prévient-il. Notre agent à La Havane de Graham Greene, par exemple, ou Kim, de Rudyard Kipling. Il y a une intrigue, on tourne les pages pour connaître le dénouement, mais on est touché par une certaine lecture du monde, une sensibilité." Pas étonnant que le romancier, qui dit avoir aussi lu Ludlum et compagnie, ait cherché à ce point la rencontre d’une implacable mécanique et d’une écriture vraie. Dans les descriptions de villes ou de paysages, dans le dessin de ses personnages, il séduit une fois de plus.
À ceux qui sont tentés par Dan Brown mais qui décrochent au détour d’un rebondissement tarabiscoté ou d’une phrase approximative: bienvenue dans le meilleur de deux mondes.
C.V.
Docteur en médecine, diplômé de l’Institut d’études politiques, Jean-Christophe Rufin semble parfois tout droit sorti d’un de ses propres romans. Il n’avait pas atteint la mi-cinquantaine que son C.V. pouvait déjà remplir trois vies, lui qui a été vice-président de Médecins sans frontières, président d’Action contre la faim, a fait partie de dizaines d’actions et projets humanitaires, en plus de jeter les bases d’une oeuvre littéraire foisonnante. Depuis Le Piège humanitaire, un essai publié en 1986 qui scrute le rôle des ONG dans les situations de conflits, Rufin a publié une douzaine de livres dont sept romans, parmi lesquels L’Abyssin (1997, prix Méditerranée), Rouge Brésil (Goncourt 2001) et La Salamandre (2005). Depuis peu, il consacre l’essentiel de son temps à l’écriture.
Le Parfum d’Adam
de Jean-Christophe Rufin
Éd. Flammarion, 2007, 538 p.