Sylvie Ouellette : Péché de la chair
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Sylvie Ouellette : Péché de la chair

Sylvie Ouellette dépoussière un scandale religieux ayant défrayé la chronique dans le Montréal des années 1830.

Une nuit de novembre 1834, à l’hospice méthodiste de la 22e Rue à New York surgit une religieuse enceinte, sale et affamée, qui a fait le voyage depuis Montréal dans le dénuement le plus complet. Une fois soignée, la jeune femme racontera sa triste existence au pasteur John Slocum et à son épouse Abigail qui la recueilleront dans leur demeure où elle accouchera de son enfant. De sa naissance dans une famille d’origine écossaise de la Rive-Sud jusqu’à son évasion du couvent de l’Hôtel-Dieu où on l’aurait obligée à se prostituer, les détails les plus scabreux de ses mésaventures sont minutieusement consignés par le révérend Slocum puis publiés dans l’American Protestant Vindicator, obligeant les autorités de Montréal à faire enquête.

Maria Monk détonne dans le parcours de Sylvie Ouellette, connue du lectorat anglophone pour ses romans érotiques parus aux éditions britanniques Black Lace (Une libertine en Nouvelle-France et Sexy sashimi, notamment, traduits chez VLB). Première oeuvre de l’écrivaine directement écrite en français, première à s’aventurer dans le domaine délicat des scandales sexuels qui ont frappé tant de congrégations religieuses en notre beau pays, le roman prend essentiellement pour base le témoignage controversé d’une femme, dont plusieurs éléments n’ont jamais pu être vérifiés, comme le précise Ouellette dans une notice.

Il faut dire que les révélations de Maria Monk avaient de quoi scandaliser son auditoire, dévoilant rien de moins qu’un système de prostitution que l’Hôtel-Dieu aurait procuré aux prêtres du séminaire voisin. Dans une pièce secrète de ce couvent des Soeurs de la Charité (situé rue Saint-Paul à l’époque), la supérieure aurait livré ses jeunes protégées à la concupiscence de ceux-là mêmes qui les entendaient par la suite en confession. Les rebelles qui refusaient de se soumettre auraient été flagellées ou enfermées dans les cachots de la cave, où un charnier accueillait également les cadavres des enfants issus de ces accouplements interdits… C’est d’ailleurs après avoir assisté à la mise à mort d’un nouveau-né que Maria, enceinte d’un prêtre, s’est finalement résolue à s’évader du couvent, selon un récit qu’elle n’a jamais modifié de son vivant, depuis ses confidences au couple new-yorkais jusqu’à son témoignage fourni en commission d’enquête.

Autour de ce fait divers, Sylvie Ouellette tisse une intrigue captivante, de type picaresque, ponctuée par les nombreux déplacements de cette héroïne qui, au cours de son existence, a non seulement fui le couvent, mais aussi le foyer familial, une maison close, une maison de réforme, un mari violent… À défaut de prétendre à la véracité des faits (les inspecteurs délégués sur les lieux plusieurs années après les événements n’ont rien pu prouver des dires de Maria Monk), l’auteure n’en dépeint pas moins une époque sombre où l’Église omnipuissante justifiait par d’habiles euphémismes (la différence entre un "mensonge pieux" et un "mensonge véniel"…) ses nombreux écarts moraux. Une époque, il faut le dire, où plusieurs vocations religieuses naissaient du désir légitime de jeunes filles pauvres de pouvoir manger à leur faim chaque jour. À chaque lecteur de s’interroger, donc, sur cette sordide affaire à laquelle l’auteure, laissant planer le mystère, n’apporte pas vraiment de réponse.

Maria Monk
de Sylvie Ouellette
VLB éditeur, 2007, 324p.

À lire si vous aimez :
La Religieuse de Diderot
Une libertine en Nouvelle-France de Sylvie Ouellette

Maria Monk
Maria Monk
Sylvie Ouellette
VLB