Jocelyn Saint-Pierre : Tribuns sur la colline
Jocelyn Saint-Pierre tombe à pic. En ce lendemain de veille électorale, son Histoire de la Tribune de la presse relate les origines du journalisme parlementaire. Retour sur le rapport amour-haine entre plumitifs et députés.
Si, d’en bas de la colline, la Tribune de la presse ressemble parfois à un repaire de paparazzis à la recherche de scandales, dans ce bouquin très fouillé, Jocelyn Saint-Pierre rappelle fort à propos l’origine de ce maillon essentiel de nos institutions démocratiques.
Bien avant l’invention de la télévision et d’Internet, cette galerie réservée aux journalistes – aujourd’hui recluse dans l’édifice André-Laurendeau, qui jouxte le parlement – était tout à la fois un lieu de travail et un espace de socialisation. En gros, être membre de la Tribune de la presse donnait accès à une chaise bancale, une écritoire de fortune et au Salon vert (où avaient lieu les débats parlementaires).
N’en demeure que pour les correspondants qui devaient rapporter avec fidélité les discours interminables des élus sous l’éclairage déficient des bougies, ce lieu de partage constituait un baume sur les difficultés, bien plus grandes, auxquelles ils devaient faire face quotidiennement.
À l’époque, c’était la rareté de l’information – et non le contraire – qui préoccupait les journalistes. En témoigne l’exploit de Ludger Duvernay, chroniqueur de La Minerve qui, en 1835, a parcouru la distance Québec-Montréal en plein hiver pour livrer l’allocution du gouverneur à son journal! Un périple nocturne de 16 heures, contre la montre et le froid.
Par-delà l’histoire du Québec, l’auteur, qui a fait carrière à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, où il a dirigé les équipes ayant reconstitué les débats des parlementaires du Bas-Canada, nous fait découvrir pas à pas le chemin tortueux qui a mené à l’institution de ce repaire médiatique dans l’antre du pouvoir.
Au XVIIIe siècle, en Angleterre, le Parlement était encore un corps législatif formé des grands du royaume dont le premier rôle était de voter les provisions financières de la Couronne. Pour préserver la dignité des députés de la Chambre, qui ne servaient pas toujours les intérêts du peuple, et pour éviter que les propos des députés les plus audacieux ne filtrent jusqu’aux oreilles du roi, on exigeait que les délibérations restent secrètes. Robert Walpole, qui jeta les bases du régime parlementaire britannique, déclara même que "si les débats étaient vendus à la criée dans la rue, la Chambre [des communes] serait considérée comme la plus méprisable des assemblées législatives de l’univers."
Mais la gourmandise du public pour les débats parlementaires, la pression des citoyens réclamant la liberté de presse et l’avidité des imprimeurs déterminés à faire leurs choux gras des discours des députés eurent raison du sergent d’armes qui les pourchassait dans les couloirs du parlement de Londres.
Au Québec, il faut attendre 1871 pour que la Tribune de la presse soit officiellement reconnue. Une reconnaissance qui doit beaucoup aux pionniers de la presse britannique qui ont "enchâssé" le quatrième pouvoir dans le système parlementaire dont nous sommes les héritiers.
Mais, s’il faut en croire l’historien, cette reconnaissance était avant tout une manoeuvre pour restreindre l’accès aux débats à ceux qu’on qualifiait malicieusement de "tâcherons de la plume" et dont les chroniques, prisées du public lettré de l’époque, l’étaient rarement autant des parlementaires.
Sur un ton académique, un peu rébarbatif au premier abord, Jocelyn Saint-Pierre relate l’histoire de notre démocratie du point de vue de ceux qui l’ont rapportée. Un séduisant jeu de miroirs qui, tout en montrant à quel point presse et Parlement sont inextricablement liés, rappelle également le long combat des journalistes pour pénétrer l’antichambre du pouvoir.
Un ouvrage truffé d’anecdotes qui ne manquera pas de donner des arguments à ceux qui croient, à tort ou à raison, que parlementaires et journalistes mangent dans la même écuelle.
Histoire de la Tribune de la presse à Québec
Jocelyn Saint-Pierre
Édition VLB éditeur, 2007, 315 p.