Les Écrits des Forges : Un long fleuve tranquille…
Les Écrits des Forges ont de quoi fêter! Ils célèbrent à la fois leur 35e anniversaire et la sortie de leur 1000e publication, Ode au Saint-Laurent de Gatien Lapointe, un exploit sans précédent dans l’édition de poésie au Canada.
Discrète, l’équipe des Écrits des Forges n’a pas l’habitude de souligner les anniversaires. En 35 ans, c’est la troisième fois qu’elle réunit des gens pour un tel événement. Question de faire sourire les invités, elle parle entre autres de la soirée du 20e, où elle avait rassemblé des fidèles de la poésie au restaurant Saint-Hubert et où le poète Patrice Desbiens (!) s’occupait de faire la livraison. Mais, cette fois-ci, le ton de la rencontre se veut un peu plus sérieux. La maison trifluvienne, pour célébrer, a publié son 1000e recueil, une édition format poche de l’une des oeuvres les plus lues de la littérature québécoise: Ode au Saint-Laurent de Gatien Lapointe, son fondateur. Entretien avec son président, Gaston Bellemare.
Ce cadeau littéraire, les Écrits des Forges se le réservaient depuis un bon moment déjà. "Oui, oui, on l’a gardé pour ça", s’exclame Bellemare en parlant du livre de Gatien Lapointe. "On a regardé le ISBN et on l’a sorti au moment où ça devenait le millième titre. C’était quelque chose que je voulais régler entre lui et moi. Parce que je suis le seul qui reste depuis le tout début. Je suis le dernier des Mohicans!" L’actuel président de la maison d’édition fait en effet partie de l’aventure depuis ses premiers balbutiements à la fin des années 60. "Gatien Lapointe, c’était un poète qui m’avait beaucoup impressionné, se souvient-il. En 1963, avec Ode au Saint-Laurent – il était publié aux éditions du Jour -, c’était la première fois qu’on pouvait acheter un livre de littérature dans une tabagie. Et j’avais acheté ça chez Sauvageau à Shawinigan. Et le livre se vendait 1 $! […] De voir un livre de littérature dans une tabagie, ça m’avait tellement impressionné que je l’avais acheté. Et je l’ai lu je ne sais pas combien de fois." Alors, quand il a su que le poète venait enseigner à l’Université du Québec à Trois-Rivières, il est retourné sur les bancs d’école. Il n’a d’ailleurs pas été dur de le convaincre de se joindre à l’équipe qui a fondé les Écrits des Forges.
Il a ainsi réalisé de beaux voyages – les Écrits des Forges publient maintenant des poètes de tous les continents! – et affronté maintes tempêtes, dont la dégringolade de l’intérêt porté à la poésie avec l’arrivée du parti nationaliste au Québec. "C’était l’époque où les Québécois essayaient de se définir", dit-il en pensant au début des années 70, une époque très florissante pour la poésie. "La Nuit de la poésie en 1970, c’était extraordinaire! Tu prononçais le mot Québec et tout le monde virait à l’envers! Durant la Nuit de la poésie, si tu ne savais pas qui tu étais en rentrant, tu savais qui tu étais en sortant. C’était très fort, et c’est la poésie qui a créé tout ce climat-là." Puis, la chanson et le théâtre ont vulgarisé le discours identitaire. "Quand il y a eu un parti politique qui a pris la place, on est tous rentrés chez nous…"
Malgré tout, les Écrits des Forges ont persévéré. Ils exportent maintenant leurs livres dans une douzaine de pays, ont reçu 180 prix et mentions et comptent 1000 titres au catalogue.
Ode au Saint-Laurent
de Gatien Lapointe
Écrits des Forges, 2007, 224 pages