Robert Lalonde : Sauver des eaux
Livres

Robert Lalonde : Sauver des eaux

Robert Lalonde signe un recueil de nouvelles sauvage et lumineux, 11 échappées vers ce que l’être humain porte en lui d’inaltérable. Entretien.

"Je n’écris jamais un livre. Écrire une page, une histoire, oui, mais écrire "un livre"… Pour moi, ce serait la meilleure façon de ne pas le faire!"

Mine de rien, ces quelques mots en disent long sur Robert Lalonde. Promeneur davantage que technicien, spectateur attentif du monde, ses cris et ses chatoiements, davantage que faiseur de littérature, l’acteur écrivain semble être le premier étonné chaque fois qu’il trouve dans ses calepins de quoi fagoter un bouquin.

Quand on lui fait remarquer que le genre de la nouvelle était sans doute synonyme d’oxygène après la course de fond qu’avait représentée l’écriture de son livre précédent, l’autobiographique et très dense Que vais-je devenir jusqu’à ce que je meure? (Boréal, 2005), Robert Lalonde échappe un "oui, oui, sûrement…", mais encore là, sur le ton de celui qui n’a rien prémédité. "Ce qui est sûr, c’est que quand ça bloque en cours d’écriture, je prends du recul et je travaille sur autre chose. Pendant que prenait forme Que vais-je devenir…, en parallèle, j’ai écrit de nombreux textes courts, dont plusieurs se retrouvent dans ce recueil-ci. Ça me fait penser un peu au peintre qui, parfois, lâche le grand tableau pour faire des croquis, des dessins."

Dans Espèces en voie de disparition, on retrouve évidemment un ton, une musique accomplie, tout habitée de nature et d’espace, mais le recueil a quelque chose de délié, fulgurant, presque sauvage. Ici, générosité du trait rime avec économie, et les textes, petites mécaniques impeccablement huilées – n’oublions pas que technicien, Lalonde l’est aussi, pas qu’à moitié -, ne font pas qu’effleurer les choses: ils les nomment, les animent, les investissent. Ce vieux couple rompu par le temps, on le voit, on le croit quand, venu de nulle part, le désir se met à le saisir de nouveau. Ce désespéré, largué par une femme et qui trouvera chez un chien un improbable confident, on mesure l’étendue de sa détresse.

TEMPS RETROUVE

Ce livre est une réflexion sur le temps. Le temps qui file et la possible cohabitation, en certains moments de l’existence, de plusieurs époques. "C’est au coeur de mon travail, de plus en plus d’ailleurs, observe l’écrivain. Ça me plaît beaucoup, cette idée que le passé n’est jamais loin, qu’il est en relation étroite avec notre présent."

Ainsi, dans la nouvelle-titre, un homme écoute les cours d’eau lui redire peu à peu le houleux passé de ceux qui lui ont donné la vie. Plus loin, un ciel étoilé, une flaque d’eau mettent en marche chez le narrateur "la vieille machine du rêve", et le voilà qui revit un épisode marquant de sa jeunesse, advenu 30 ans plus tôt. Dans chaque histoire, un élément déclencheur, un instant pivot qui crève la simplicité des apparences, et fait place à l’ambiguïté, au paradoxe. "Le seul moment où l’être humain se révèle un peu, pour moi, c’est quand il s’échappe de sa propre vie, de ses habitudes. Mes personnages, ici, sont obligés de le faire; ils se trouvent confrontés à une situation, à un passé qui surgit. Ils n’ont plus le plein contrôle sur les choses… Ça m’intéresse, ça, à une époque où notre société nous encourage à aller vers une existence lisse, prévisible, sécuritaire. Devant cette évacuation de tout ce qui est paradoxal, me revient souvent en mémoire la fameuse définition de Freud: la névrose, c’est l’incapacité d’accepter l’ambiguïté."

Économe, donc, presque sec malgré de fabuleuses parenthèses sur la flore québécoise, Espèces en voie de disparition n’en pose pas moins de vastes questions, en tout point porté par l’idée que l’infiniment petit peut toucher à l’infiniment grand.

Espèces en voie de disparition
de Robert Lalonde
Éd. du Boréal, 2007, 200 p.

Espèces en voie de disparition
Espèces en voie de disparition
Robert Lalonde
Boréal