Véronique Bessens : Temps composé
Véronique Bessens consacre un premier recueil de nouvelles au rapport fluctuant que l’homme, tout au long de sa vie, entretient avec le temps.
Séjournant en Chine avec Alain, Mathilde se rend compte qu’elle n’apprécie un lieu que lorsqu’elle ne s’y trouve plus, les souvenirs qu’elle se fabrique lui semblant plus vrais, plus tangibles et plus beaux que la réalité fuyante. Un enfant malade, le petit Romain, voit passer les semaines dans l’hôpital aseptisé où il demeure enfermé, ne parvenant que rarement à s’arracher aux griffes des infirmières et des médecins pour s’offrir quelques minutes de liberté. Pendant ce temps, un homme égrène les heures de la journée dans les différentes pièces de sa maison longtemps habitée par une compagne disparue dont la présence se fait encore sentir…
Le temps: thème littéraire qui ne date pas d’hier. Les écrivains de la Renaissance avec leur carpe diem exhortaient les lecteurs à profiter des fugitifs plaisirs de la vie, car il ne leur ferait pas de cadeau, Baudelaire le désignait carrément comme l’ennemi de l’homme, tandis que Ferré chantait son effet dévastateur sur le bonheur et sur les choses. Chez Véronique Bessens, il nous est plutôt montré dans tous ses états, renvoyant à nombre de locutions courantes: temps immobile, temps dilaté, temps à perdre ou à retrouver, temps minutieusement calculé, sans oublier le temps qu’il fait… Une approche plurielle intéressante et qu’illustrent avec une certaine redondance le titre du livre et l’illustration explicite de sa jaquette, ornée de cadrans de montres.
Jeune écrivaine (elle a publié un premier roman intitulé Un train en cache un autre en 2001), Bessens s’intéresse à la fois au mi-temps de l’âge adulte et aux frontières de l’existence, cette enfance et cette vieillesse aussi vulnérables l’une que l’autre, qu’elle nous dépeint avec subtilité. Ainsi, dans "Il court, il court", une résidence pour aînés sert de décor au "spectacle quotidien de l’usure du corps". L’un des pensionnaires, seul mâle survivant de la maison, "parmi une flopée de vieilles pies qui ne sont pas très tendres les unes envers les autres", tente une dérisoire révolte un certain mercredi, cette pénible journée de la semaine consacrée aux "activités infligées". Dans "Des tuiles et des roses" (nouvelle lauréate du Prix du Jeune écrivain francophone 2004), une fillette trop sage qui a déjà compris que la vie se résume en une suite de soustractions essaie de consoler son grand-père de l’implacable sentiment de finitude qui l’habite.
On ne dira jamais assez à quel point la nouvelle est un art difficile et exigeant. Investissant ce genre littéraire, plusieurs écrivains s’accrochent de nos jours à un thème ou à une formule qu’ils démultiplient dans leurs recueils, offrant d’amusants exercices de style dans certains cas, mais diluant un propos déjà plutôt mince. Si l’on retrouve cette impression de filon exploité dans les treize Contes du temps qui passe (qui, ironiquement, inscrivent l’auteure elle-même dans le temps, le sien), on ne pourra s’empêcher de goûter le savant mélange d’humour et de profondeur qui s’en dégage, sans compter le sens aigu d’observation ayant présidé à leur création.
Dans cet imaginaire aigre-doux où ils tissent des liens "le plus souvent de commodité", les personnages de Véronique Bessens témoignent d’une vision bien sentie de la nature humaine, écartelée entre son égoïsme et son désespoir.
Contes du temps qui passe
de Véronique Bessens
Éd. Triptyque, 2007, 136 p.
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