Suzanne Myre : Pour en finir
Suzanne Myre signe le fulgurant Mises à mort, un cinquième recueil de nouvelles aussi décapant, vif et drôle que les précédents. Nous avons sauté sur l’occasion pour parler avec elle de brièveté, de fins, de morts et de l’art de la nouvelle. Tout ça à un débit ultrarapide!
Car Suzanne Myre parle comme elle écrit: avec de petites phrases nerveuses et précipitées. Dans Mises à mort, la sympathique auteure règle leur compte à quelques personnages, à un chat, à un chien saucisse et même à une histoire d’amour et deux ou trois mythes. Ambitieux programme d’extermination, accompli avec l’humour habituel de la dame. Parce que Mises à mort n’est pas triste ni morbide. Il est souvent doux-amer, parfois jouissif, et il aborde de front une question qui flottait autour de ses recueils précédents, Nouvelles d’autres mères et Humains aigre-doux: celle de la mort.
D’où vous vient cet intérêt pour le thème de la mort?
"Je pense tous les jours à la mort. J’ai toujours aimé la thématique de la mort. J’ai étudié les enseignements bouddhistes qui m’ont rapprochée de l’idée de la mort, j’ai vécu la mort de ma mère pas mal en direct, la mort de mon père quand j’avais six ans, toutes sortes de petites morts. Je suis attentive à la fin des choses, que ce soit la fin d’un mythe sexuel, la fin d’une relation fraternelle, la fin d’une p’tite dame esseulée. Bref, la fin. On a tellement peur de parler de la fin des choses aujourd’hui, on a envie de les étirer ad vitam æternam. Moi, j’aime bien que les choses se terminent."
Est-ce pour cela que vous écrivez des nouvelles?
"Je ne sais pas, c’est une question difficile. On ne demande jamais au romancier pourquoi le roman, mais on demande toujours au nouvelliste pourquoi la nouvelle, comme si c’était un genre à part. Je pense que je suis venue naturellement à la nouvelle ou elle est venue naturellement à moi. J’ai commencé par écrire des lettres. Mes premières écritures sérieuses, c’étaient des lettres, des lettres à mes amoureux, des lettres aux gens. Probablement qu’entre la lettre et la nouvelle, il y a un lien de durée. (…) Ça va avec mon système nerveux aussi, avec mon agitation mentale."
D’ailleurs, ce qui est frappant dans votre écriture, c’est le côté très bref, très immédiat, très visuel de votre univers. Y a-t-il une influence de la littérature américaine là-dedans?
"À savoir si je suis influencée, je ne sais pas. Je suis portée vers la littérature américaine, j’adore les nouvellistes américains comme Raymond Carver. Je lis très peu de littérature française et malheureusement, je l’avoue, de littérature québécoise, parce que j’ai besoin d’être déstabilisée et que ça me déstabilise très rarement. (…) D’ailleurs, mes fins peuvent être déstabilisantes en ce sens que ce sont des fins ouvertes et non fermées. Je crois que la force de la nouvelle est de laisser un questionnement, une ouverture dans l’esprit du lecteur. Souvent les gens perçoivent ça comme des fins tristes ou négatives. Moi je ne suis pas d’accord. J’aime bien lire et rester avec une petite question qui me trotte dans la tête."
Il y a une présence assez forte de l’Église et de la religion dans ce recueil…
"Oui, c’est ce qu’on me dit. Moi, je n’avais pas remarqué. Mais j’ai relu dernièrement pour vérifier et c’est vrai. Il faut dire que j’ai été sous l’influence du catholicisme assez longtemps dans ma jeunesse, avant de m’en défaire et de me pencher sur le bouddhisme, pour finalement revenir à ma propre philosophie de vie. J’aime beaucoup la religion et la vie monastique. (…) J’écris souvent mes meilleures nouvelles dans les monastères, qui sont des endroits très inspirants, où t’as pas le choix que de revenir à toi-même, parce qu’on ne peut pas parler. La spiritualité, c’est très important dans ma vie."
D’un autre côté, on sent l’importance de la culture pop aussi.
"J’ai beaucoup de références cinématographiques (entre autres, dans Mona se terre, à Six Feet Under et 24) et musicales, parce que j’aime communiquer le monde contemporain. Je pense aussi que ce recueil-là est un peu plus positif que les autres, en ce sens que la chialeuse en moi, la fille qui veut relever les travers, est toujours présente (elle va toujours l’être), mais peut-être d’une façon un peu moins hargneuse, moins dépitée qu’auparavant. J’ai toujours pensé que mon plus beau livre allait être celui où je parlerais de ce à quoi je crois vraiment, de ce que j’aime, sans passer par le contraire."
Mises à mort
de Suzanne Myre
Éd. Marchand de feuilles, 2007, 179 p.
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