Henrik Ibsen : Idéal classique
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Henrik Ibsen : Idéal classique

Henrik Ibsen entre enfin, 100 ans après sa mort, dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade.

Né à Skien en 1828, Henrik Ibsen écrit sa première tragédie à l’âge de 21 ans. Après des débuts difficiles, il quitte la Norvège en 1864 et voyage dans de nombreux pays d’Europe. Ce n’est que 27 ans plus tard qu’il reviendra dans son pays natal, pour y recevoir une consécration nationale. Il meurt à Christiana en 1906.

Grâce à des pièces comme Peer Gynt, Une maison de poupée ou Hedda Gabler, mais aussi avec des moins connues comme Brand, Les Revenants, Solness le constructeur et Petit Eyolf, le théâtre d’Ibsen jouit toujours d’un statut exceptionnel. L’homme a beau être décédé il y a un siècle, les fondements de sa dramaturgie, exploration sans concession des plus vives contradictions de la nature humaine, appartiennent indéniablement à notre époque.

Selon Régis Boyer, qui a traduit, présenté et annoté les 17 dernières pièces d’Ibsen (sur un total de 26) pour leur entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade, l’écrivain norvégien mérite amplement son titre de pionnier du théâtre moderne: "Ibsen est sans aucun doute un classique, le seul véritable classique, peut-être, que nous ait donné le Nord", écrit-il dans sa préface. Dans les pages de cette anthologie, on goûte à tous les registres empruntés par Ibsen, depuis Les Prétendants à la couronne, encore imprégnée de l’inspiration historique qui fut celle du jeune dramaturge lecteur de sagas, jusqu’à Quand nous ressusciterons, une pièce que l’auteur considérait comme l’épilogue de toute son oeuvre, en passant par Peer Gynt, où se ressent très nettement la rupture avec le romantisme. Entre les deux, il y a tous les chefs-d’oeuvre, ces tragédies du quotidien qui ont jeté les bases du théâtre réaliste. Dans ce théâtre, que certains diront "de salon", le mystère du paysage scandinave est palpable, la puissance du fjord se fait constamment entendre.

SUR LES SCENES DU MONDE

Pour démontrer que le théâtre du Norvégien n’a rien perdu de sa pertinence et qu’il est même d’une grande actualité, Régis Boyer rappelle que chaque saison, en France comme ailleurs, on monte assidûment les pièces d’Ibsen: "Chaque génération, depuis plus d’un siècle, les reprend, les adapte, les refaçonne, proposant de nouvelles figurations, choisissant des décors inattendus, bouleversant les habitudes acquises. […] Ibsen est mort depuis 100 ans, et nous sommes toujours de plain-pied avec son univers: personnages, décors, action, tout cela nous est familier, les adaptations sont à peine nécessaires."

Au Québec, au cours des dernières années, des metteurs en scène aussi divers que Lorraine Pintal, Peter Batakliev et Chris Abraham ont revisité la dramaturgie d’Ibsen. En 1996, sur la scène du TNM, Sylvie Drapeau fut une mémorable Hedda Gabler. En France, Emmanuelle Seigner et Isabelle Huppert ont eu la chance d’endosser le même rôle mythique. Quant à Patrice Chéreau et Stéphane Braunschweig, ils ont su faire mentir ceux qui disaient que Peer Gynt et Brand étaient des pièces impossibles à mettre en scène.

Ibsen avait le génie de construire ses pièces autour de questions existentielles, des dilemmes si intrinsèquement humains que rien ne saurait rendre désuètes les oeuvres qui en découlent. Selon Régis Boyer, "il y a, d’un bout à l’autre de son théâtre, une sorte d’aspiration plus ou moins consciente à un état de société sans conventions étouffantes, sans idées reçues inviolables, sans relations contraignantes entre fortune et rang social". Chez les personnages d’Ibsen, il y a cette volonté de remédier à son sort, ce désir subversif de rompre les liens moraux, familiaux, sociaux ou conjugaux qui nous retiennent cruellement au sol. C’est cette soif de liberté qui a traversé les années et c’est elle également qui fait de l’entrée d’Ibsen dans la Pléiade une excellente nouvelle.

Comme l’écrit Régis Boyer, "ce qui nous attache [à ce théâtre], ce n’est pas tellement, en fin de compte, l’intrigue située et datée, ce sont les personnages, ces hommes et ces femmes de chair et de sang qui tentent éperdument de dire, de se dire, de s’entendre, parce que telle est la condition de leur survie. Ils savent ce que nous savons tous, mais eux s’efforcent de le formuler. De le re-présenter".

Théâtre
de Henrik Ibsen (édition et traduction du norvégien par Régis Boyer)
Éd. Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 2006, 1952 p.

Théâtre de Henrik Ibsen
Théâtre de Henrik Ibsen
Régis Boyer
Gallimard