Kurt Vonnegut : Une image de nous-mêmes
Il nous a donc quittés dans un bel éclat de rire, Kurt Vonnegut, l’anarchiste admirable, l’iconoclaste terrible, le survivant du bombardement de Dresde; l’impie miraculé. Le grand homme nous a laissés avec ce beau foutoir du siècle en prenant soin de nous livrer son testament littéraire et politique, Un homme sans patrie, petit bréviaire du désespoir et de l’humour acide qui croquèrent les traits de sa vie et de son temps. Au pays de Bush et autres "psychopathes" de Washington, des pollueurs qui "transforment les océans en bouillons de poule", l’ouvrage s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires, comme quoi la moral majority n’est pas le voeu de tous.
Le brûlant pamphlet tire tous azimuts, de feu en feu, de pierre en pierre, mêlant souvenirs personnels, idéaux littéraires, sociaux, scientifiques ou politiques aux charges en règle contre les guerriers porteurs de fiel et de croix, mercenaires étoilés, les médias et grandes entreprises, manipulateurs de rêves sur la terre comme au ciel.
"Quelle erreur nous sommes! Je pense que la planète devrait se débarrasser de nous!" Un homme sans patrie apparaît ainsi comme le cri ultime d’un écrivain apatride et libertaire, au talent immense. Quoique l’essai ne donne pas dans le style et la novation des formes, là bien sûr n’est pas le but, le romancier y livre une pensée des plus éclairées sur les tares d’une Amérique dont le portrait se noircit de jour en jour; une Amérique où "même les pauvres sont obèses" puisque, semble-t-il, "il n’y a pas une foutue chance" qu’elle "devienne humaine et raisonnable".
Un homme sans patrie
de Kurt Vonnegut
Éd. Denoël, 2006, 134 p.