Maya Merrick : Créature de la nuit
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Maya Merrick : Créature de la nuit

Avec Sextant, Maya Merrick fraye avec le côté obscur de la vie de nuit. Mais entre les tordus et les laissés-pour-compte, s’entend le souffle d’une femme courageuse. Rencontre avec l’auteure.

Habile roman où se croisent toutes sortes de créatures de la nuit, des plus adorables aux moins fréquentables, Sextant (aucune filiation avec le célèbre Sexus de Miller) raconte, comme d’un seul souffle, la vie présente et passée de Cassy Peerson, une jeune femme qui travaille comme sirène dans un club de strip-tease. Et lorsqu’elle quitte ce trou à rats, c’est, quand tout se passe bien, pour dormir dans une vieille voiture. "J’ai démarré l’écriture de ce roman il y a six ans, j’ai donc déjà une certaine distance avec cette oeuvre. Ce qui m’a permis au cours du travail avec mes traducteurs, Lori Saint-Martin et Paul Gagné, de pouvoir retoucher certains détails avec sérénité."

Plusieurs versions de la traduction ont voyagé entre l’auteure et ses traducteurs. Bien que Maya soit présentement à mettre le point final à sa prochaine oeuvre, la tentation propre à bien des écrivains de sacrifier encore des parties du roman n’était pas si grande: Maya Merrick est très satisfaite de ce premier opus. Et elle confesse préférer, d’une certaine manière, la traduction à l’original. Car, outre la qualité remarquable de la langue et le respect du travail formel, la disposition typographique correspond mieux au souffle et aux intentions initiales.

Roman tout en cascades où se croisent les époques à chaque page, Sextant contient autant de pistes que d’habileté à garder son lecteur sur le bon chemin. "En fait, ce roman a d’abord été une nouvelle dont j’ai vu le potentiel romanesque; c’est une nouvelle qui a grandi", dit-elle en riant. Territoire de l’errance et de l’exclusion, le roman pourrait, d’une certaine manière, être issu de n’importe quelle ville nord-américaine: "L’action se déroule dans une sorte de nowhere, bien que les passages faisant référence au monde de l’enfance se rapprochent beaucoup des univers que j’ai moi-même pu observer dans ma propre enfance à Vancouver. Il y a quelque chose qui fait très Côte-Ouest avec fenêtre sur la Californie, plus précisément avec l’idée que le personnage se fait de la Californie."

PAPIER A MUSIQUE

Du vieux travelo aux clients étranges, en passant par la petite racaille, tous les marginaux de la nuit s’y retrouvent: "Ce n’est pas que je sois fascinée par les univers de la drogue, du sexe ou de la rue, mais plutôt qu’une partie du désordre que vivent mes personnages ressemble à la désorganisation que j’ai moi-même connue. D’abord, je vis la nuit, et j’étais le genre d’enfant à se coucher à deux heures du matin et à s’endormir sur les bancs d’école."

Les enfants que l’on croise dans le roman, et surtout l’enfant qu’a été Cassy Peerson, sont beaucoup laissés à eux-mêmes. Mais ils se débrouillent et se développent, même s’ils entrent parfois à l’école avec trois ans de retard. Les parents de Merrick, eux, s’ils n’ont pas poussé Maya vers les arts, ont par contre, probablement, aidé indirectement la jeune femme à s’assumer comme artiste. Son père était un architecte reconnu sur la Côte-Ouest, aussi plusieurs architectes et peintres passaient-ils par le foyer familial. Si la créativité de Maya fut encouragée par ces derniers, et si l’architecture – qui est un art parvenant à produire des objets aussi étranges que beaux et fonctionnels (à l’image de son roman) – demeure une de ses influences, c’est plus à la musique que l’on pense en lisant Sextant. C’est que tant la forme que le déroulement de l’histoire nous rappellent l’art de la fugue. "Initialement, lorsque le roman était encore une nouvelle, l’idée de la fugue était déjà présente", confirme-t-elle.

Tous les personnages, auxquels nous nous attachons d’ailleurs rapidement, ont en commun cette sorte de fuite en avant. Aussi, ils empruntent parfois des chemins hasardeux, tordus, mais reviennent, rebondissent, nous surprennent. Et l’une des plus belles qualités du roman, c’est le regard que pose la romancière sur eux. On y lit une tendresse, une compréhension et une reconnaissance, et surtout, on constate l’absence totale de jugement.

Sextant
de Maya Merrick
Éd. du Boréal, 2007, 348 p.