Serge Lamothe : Affinités électives
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Serge Lamothe : Affinités électives

Serge Lamothe propose un nouveau modèle amoureux dans Tarquimpol, un quatrième roman placé sous l’égide bienveillante de Kafka.

Peut-on être amoureux de plusieurs personnes à la fois? À une époque qui voit tomber les derniers tabous, cette question reste originale dans la mesure où elle renvoie davantage à l’exclusivité du sentiment qu’à la fidélité sexuelle. En effet, tandis qu’une grande liberté s’exprime sur ce dernier plan, force est de constater que le couple monogame comme modèle dominant n’est, quant à lui, presque jamais remis en question. Les pratiques échangistes où l’on accorde une liberté à son partenaire dans un cadre bien délimité ne visent-elles pas notamment à préserver le couple et à en prolonger la durée?

Concluant à l’essoufflement du couple exclusif (notamment par une série d’exergues qui en livrent une image déprimante), Serge Lamothe aborde ainsi le sujet du "polyamour". Installé en Ardèche, un écrivain québécois, spécialiste de Kafka, constate que sa relation avec Alya commence à battre de l’aile. Toujours épris de celle qu’il vient d’épouser, il ne peut s’empêcher d’aimer également Laurie, laquelle aime Alya qui, de son côté, entretient une liaison avec René, leur voisin. Jusque-là, rien que de très banal. Pour le héros, toutefois, une véritable révolution intérieure s’opère lorsque sa jalousie purement instinctive envers René cède la place à un autre sentiment, ce "bonheur qu’on éprouve de savoir qu’un être aimé est aimé d’une tierce personne". Allant jusqu’à désirer tenir la main d’Alya "pendant qu’elle jouit dans les bras d’un autre homme", il finit par former avec elle, René, Laurie et plus tard Li Wei, une "tribu" soudée dans une même étreinte sulfureuse, dans un "amour inextinguible" débarrassé de toute pudeur et de tout mensonge.

S’ajoutant à cette redéfinition des liens amoureux, une sorte de quête littéraire est rapportée en parallèle dans ce curieux Tarquimpol, où intervient le souvenir de Franz Kafka (rappelons que Lamothe signait en 2004 une brillante adaptation théâtrale du Procès mise en scène par François Girard). Le grand écrivain tchèque, probablement "polyamoureux avant l’heure", nourrit en effet les obsessions du narrateur. Celui-ci rêve de se rendre jusqu’à Tarquimpol, petit village de Lorraine dominé par le château d’Alteville où auraient séjourné Kafka et son ami Max Brod à l’été 1911. Un projet sans cesse reporté mais qui finira par se concrétiser, le héros marchant dans les traces de son maître à penser pour se découvrir lui-même.

Esquivant le dilemme de l’écrivain postmoderne, déchiré entre la première et la troisième personne, Serge Lamothe opte ici pour une narration au "tu", choix intéressant qui crée tour à tour une proximité et une distance avec le personnage. Il faut dire que l’écriture de Lamothe ne cède pas aux images faciles, développant un univers propre qui, loin d’être lui-même kafkaïen, s’apparente davantage au roman d’apprentissage. L’ouverture du roman où nous est décrit par sections un paysage kitsch de Tarquimpol peint au fond d’un cendrier, paysage qui se précise au fur et à mesure que sont repoussés les mégots de cigarettes qui y traînent, reste emblématique de cette fresque audacieuse consacrée à l’amour et dévoilant l’une après l’autre ses différentes facettes.

Tarquimpol
de Serge Lamothe
Éd. Alto, 2007, 229 p.

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L’Ange au berceau et La Tierce Personne de Serge Lamothe
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Tarquimpol
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