Arturo Pérez-Reverte : Derrière l'image
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Arturo Pérez-Reverte : Derrière l’image

Arturo Pérez-Reverte s’interroge, dans un roman autobiographique noir et bouleversant, sur la responsabilité de l’image face à l’horreur de la guerre.

Dans son dernier cru littéraire, Le Peintre de batailles, le grand romancier espagnol Arturo Pérez-Reverte convoque son passé de correspondant de guerre pour nous livrer une réflexion philosophique puissante et très dérangeante sur l’origine du mal et la responsabilité de l’image. L’art et le récit peuvent-ils échapper à l’"implacable géométrie du chaos", demande d’entrée de jeu l’auteur du best-seller mondial Le Tableau du maître flamand?

Ancien reporter de guerre pour le journal El País et la télévision publique espagnole, Arturo Pérez-Reverte a patienté plus de vingt ans avant de relater dans ce roman aux accents autobiographiques son expérience de la guerre. Il a couvert les principaux conflits qui ont embrasé la planète ces deux dernières décades: l’Irak, le Liban, l’Érythrée, les Malouines, Chypre, la Bosnie… Des années sombres et tumultueuses où il a côtoyé quotidiennement l’horreur, la destruction et la souffrance humaine.

Ce roman intime et douloureux, d’une redoutable gravité, plonge le lecteur dans les limbes du mal.

C’est l’histoire d’un ancien photographe de guerre désabusé, Faulques, qui décide brusquement de mettre un terme à sa carrière après avoir assisté impavide au procès d’un tueur serbe qui raconte paisiblement le viol, la torture et l’assassinat d’une jeune Bosniaque. "Aucune photographie au monde, non plus que l’image et le son qu’enregistraient en ce moment les caméras de télévision, ne pourrait refléter ni interpréter cela", lance-t-il sur un ton désespéré.

Après avoir sillonné les quatre coins de la planète pour photographier dans les musées des tableaux de batailles épiques, qu’il réunit dans un livre d’art intitulé Morituri, il s’installe dans une ancienne tour située au bord de la Méditerranée pour peindre une immense fresque circulaire représentant le paysage intemporel d’une grande bataille qui symbolisera la tragédie de l’humanité. En peignant ce tableau apocalyptique, l’ancien photographe espère trouver enfin la vérité ultime de l’humanité en guerre, qui dans le cadre de son viseur était toujours apparue sous la forme incompréhensible de la souffrance et de l’absurde.

Ses pensées sont traversées par le souvenir indélébile d’Olvido Ferrara – "Olvido" signifie en espagnol "oubli" -, une correspondante de guerre très vaillante dont il est tombé éperdument amoureux, disparue lors d’un reportage durant la guerre des Balkans, où une mine lui faucha la vie. Faulques la photographie pendant qu’elle agonise, sans savoir pourquoi. Par réflexe? Ou pour une raison plus inavouable?

Ce cliché effroyable du corps pulvérisé de sa jolie soeur d’armes, qui exhume avec éclat le caractère prédateur du photographe, le taraudera profondément jusqu’à la fin de sa vie.

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Un jour, Markovic, un Croate qu’il a photographié lors de la bataille de Vukovar, lui rend visite pour le tuer. La photo que Faulques a faite de lui a paru dans la presse internationale, fait le tour du monde et précipité sa perte. Dès lors, cet homme enrôlé dans la milice croate devint malgré lui la figure du "héros" que les Serbes se devaient d’abattre. Fait prisonnier par des miliciens serbes enragés, qui le torturent sauvagement, il sera relâché deux ans et demi plus tard dans le cadre d’un échange de prisonniers. Il apprend alors que sa femme et son fils ont été violés et froidement abattus. L’enfant de 5 ans a été cloué sur une porte avec une baïonnette, sa femme a été égorgée. Une vie broyée à cause d’une photo sensationnaliste.

Avant que Markovic n’abatte son bourreau involontaire, les deux hommes entament une discussion longue comme la nuit. Un tête-à-tête éprouvant et sans concessions qui, par moments, prend la forme d’un dialogue platonicien. À travers ce face-à-face intense, Arturo Pérez-Reverte aborde avec perspicacité des thèmes qui au premier abord peuvent paraître usés jusqu’à la corde, mais qui sont toujours très contemporains: le but de la guerre, la cruauté des hommes, l’omniprésence de la mort, la nature humaine et animale, la fragilité d’une vie, les dérives de la morale, l’exploitation de l’identité nationale à des fins politiques, le courage face à l’adversité, la compassion… De cette conversation à bâtons rompus émane aussi une somptueuse réflexion sur le problème du regard, de la puissance et des limites de l’image, en matière de photo comme en matière d’art.

Avec ce récit émouvant et sensible, à la frontière du document et de la fiction, on entre comme par effraction au coeur de l’Histoire. Arturo Pérez-Reverte confirme de nouveau sa place de grand maître du thriller historique dans ce roman magistral qui conjugue secrets enfouis sous les cendres d’un passé funeste qui ne veut pas passer, tourmente de l’Histoire, gloses philosophiques et un sens de l’intrigue diabolique. Passionnant!

Le Peintre de batailles
d’Arturo Pérez-Reverte
Éd. du Seuil, 2007, 283 p.

Le Peintre de batailles
Le Peintre de batailles
Arturo Pérez-Reverte
Du Seuil