Sylvain Houde : Chair fraîche
Sylvain Houde recompose un décapant polar ayant pour cadre la faune hétéroclite d’une boîte de nuit montréalaise.
Pour inaugurer sa nouvelle maison d’édition Coups de tête, consacrée à de courts textes narratifs à mi-chemin entre la novella et le "roman de gare", Michel Vézina a eu la lumineuse idée de recruter Sylvain Houde, qui s’est déjà frotté avec bonheur à ce format littéraire. Dans Un petit bleu bourgogne, recueil de "romans brefs" paru en 2000, figurait d’ailleurs une première mouture de cette Odyssée de l’extase qui nous est donnée à lire ici dans une version plus achevée. Houde, qui fut disc-jockey aux Foufounes électriques dans une autre vie, puise dans cet ancien haut lieu de l’underground montréalais la matière d’une réjouissante intrigue policière.
L’Odyssée de l’extase, c’est d’abord le nom du "night club le plus destroy en ville, le plus branché sur la fin du monde", endroit de perdition, mais aussi de diffusion d’une contre-culture "pré-post-néo", allant d’une exposition organisée par l’Association des travailleurs du sexe aux performances du controversé "shit art" new-yorkais. L’administration d’un tel établissement ne saurait évidemment être sans tache: le commerce de la drogue y prospère, on y blanchit de l’argent et on y embauche des immigrants illégaux. Faible prix à payer pour pouvoir conserver son image, hautement convoitée dans la Métropole, de "symbole de la dissidence, de la marginalité, de la subversion".
No man’s land culturel ne connaissant aucune frontière, L’Odyssée reste donc "le lieu idéal pour que bourgeonnent les problèmes". Mais il y a quand même des limites à ce que l’on peut supporter. Lorsqu’un meurtrier en série s’attaque de façon artistique aux membres du personnel, qu’il élimine un par un, les journaux s’emballent, facilitant la quête d’un petit chef de police qui rêve de mettre la clé sous la porte du temple de la débauche. Qui est le tueur? Terroriste, petit parrain local, client expulsé, membre d’une organisation gardienne de la morale… L’enquête piétine alors que les patrons refusent de fermer l’établissement et que l’enquêteur chargé de l’affaire dérape. Menant une vie triste à mourir entre son épouse et le téléviseur, celui-ci découvrira à L’Odyssée un univers séduisant, l’ouvrant à une sexualité qu’il ignorait lors de la fameuse soirée annuelle "Cuir & Latex Fétichiste" (où son statut d’authentique policier suscitera les convoitises).
Sectionné en dix chapitres brefs (un par victime), parsemés de dialogues drolatiques, le roman apparaît comme une succession de courts tableaux servis par une narration ludique dont le lecteur, souvent interpellé, devient rapidement complice. Il ne faudrait toutefois pas réduire l’oeuvre à son seul effet de rapidité et de légèreté. À l’ère du téléphone portable, une certaine critique se complaît à penser que la littérature doit prendre la voie du vidéoclip et rejeter toute digression pour être "efficace". Je préfère croire que L’Odyssée de l’extase, plutôt que d’obéir à cette (vieille) injonction moderne, n’est que le pur produit de l’imaginaire débridé de Sylvain Houde. La distance amusée que maintient l’écrivain par rapport au monde qu’il dépeint (mais évitant toute posture cynique) permettra peut-être à ce livre de traverser le temps pour témoigner des tendances "hardcore" en voie de folklorisation de notre joyeuse époque.
L’Odyssée de l’extase
de Sylvain Houde
Coups de tête
2007, 120 p.
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