Irène Némirovsky : Folies de jeunesse
Livres

Irène Némirovsky : Folies de jeunesse

Irène Némirovsky croque les moeurs faussement tranquilles des bourgeois de province, sur fond de semailles et moissons. C’est bref, un peu cruel et assez enfiévré.

Les tiroirs d’Irène Némirovsky semblent décidément sans fond. De l’écrivaine juive décédée à Auschwitz en 1942 nous parvenait d’abord Suite française, qui devait gagner le prestigieux prix Renaudot en 2004. Puis voici qu’on trouve la fin du manuscrit de Chaleur du sang, court roman de campagne sur les passions des jeunes et l’oubli des plus vieux. C’est l’éditeur Denoël qui doit s’en frotter les mains… Car si Chaleur du sang n’a ni l’ampleur ni la précision historique du roman primé, il en a la veine réaliste. Et puis, il est féroce et fiévreux comme peut l’être un suspense en plein été.

Dans l’atmosphère étouffante d’un petit village où chacun se méfie du voisin mais où tout se sait, un vieil oncle observe avec détachement la petite comédie humaine qui l’entoure. Silvio a beaucoup voyagé dans sa jeunesse, il a dilapidé son héritage, il a vécu poussé par l’impatience de la jeunesse et la folie des sens. Mais il est revenu à sa patrie bourguignonne vieilli et calmé, sans qu’on lui ait jamais vraiment pardonné ce départ. Devant lui, ses cousins François et Hélène goûtent un bonheur conjugal apparemment sans nuages. Leur fille Colette s’apprête à vivre la même existence tranquille avec son fiancé Jean, avant qu’une mort ne vienne bouleverser ce petit univers clos et faussement placide.

D’aveux en révélations, on passe ainsi de la chronique de campagne aux ressorts d’un roman à énigmes. Après la confidence finale de l’oncle Silvio, partagée entre lui, le lecteur et une bouteille de vin, il faudra tout relire depuis le début… Question de traquer ces petits signes annonciateurs qui prennent alors tout leur sens. On sent qu’Irène Némirovsky aime révéler ce qui se cache sous le vernis d’hypocrisie qui recouvre les secrets enfouis depuis longtemps; qu’elle aime mettre nez à nez l’apparente sagesse des vieux et l’impulsivité des jeunes. Tout tourne ici autour de l’incompréhension entre les générations, et de l’impossibilité pour les plus vieux de se reconnaître dans cette "chaleur du sang" qui bouleverse un destin à vingt ans.

Mais l’intérêt du roman réside ailleurs que dans ce choc des générations un peu galvaudé. Il est dans le récit de la sournoiserie qui règne dans ce petit bourg sous-tendu par la sourde hostilité des paysans envers ceux qui ont "fauté". Il est dans le mystère un peu flétri qui en émane, comme si l’on avait retrouvé les pages jaunies d’un vieux carnet intime. L’écriture aussi a un air légèrement daté, mais c’est dans les touches rurales mêmes – la description des odeurs de la saison, d’un mariage ou d’un crépuscule – que le talent de Némirovsky éclate le plus clairement. Par petites touches impressionnistes, elle brosse un tableau qui a l’intensité des désirs étouffés.

Chaleur du sang
d’Irène Némirovsky
Éd. Denoël, 2007, 155 p.

Chaleur du sang
Chaleur du sang
Irène Némirovsky
Denoël