Pierre Cayouette : De l'autre côté du miroir
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Pierre Cayouette : De l’autre côté du miroir

Pierre Cayouette, journaliste à L’Actualité, se penche dans son premier roman sur la remise en question que peut provoquer la fin de la vie professionnelle.

Lorsque Edgar Forest décide de prendre sa retraite après plus de 30 années passées dans le même collège montréalais, il est minuit moins une. Le professeur de français vient en effet de franchir le cap fatidique des 59 ans, âge auquel son père, sa mère, son frère et sa conjointe sont tous décédés, victimes d’une étrange "malédiction" familiale. Ne croyant pas pouvoir atteindre la soixantaine, le sympathique hypocondriaque entend donc se consacrer à temps plein à sa "nouvelle carrière d’être humain". Les leçons de piano, le bénévolat, un bref voyage à Paris et l’écriture seront autant de façons pour lui de rattraper le temps perdu, de "vivre à fond" cette année "comme si c’était la dernière".

Doté d’un malheureux titre, Les Jambes de Steffi Graf (justifié par la passion pour le tennis du personnage), le premier roman de Pierre Cayouette a le mérite de réunir les grandes questions relatives à la retraite. Questions examinées en mode urgence par un narrateur qui pense n’avoir plus qu’une petite année à vivre: A-t-on raison de bâtir sa vie sur une carrière? Jusqu’à quand peut-on différer nos projets et nos rêves? Est-ce l’âge qui tue un homme ou sa retraite? En une dizaine de chapitres à la narration fluide, Edgar tentera d’y répondre tout en procédant à sa "reconstruction" et à un retour (pas complètement assumé) sur son passé, notamment sur sa vie de couple dont il ne lui reste, maintenant qu’il est veuf, que "les moments de paix, les scènes de tendresse ordinaire, les sourires complices".

On s’étonnera peu, tout compte fait, de voir à quel point la retraite est constamment associée au processus de la mort. Cela commence dès la phrase d’ouverture du roman, "J’avais pourtant exigé de ne pas être exposé", qui crée chez le lecteur la brève impression que celui qui s’exprime est déjà décédé. Il s’agit en fait d’une entrée en matière ironique où, filant la métaphore funéraire, Edgar décrit la fête de départ qui lui est réservée dans la salle du personnel avec "une cinquantaine de collègues qui s’agglutinent autour de [lui], comme on veille un mort". L’interrogation qui hante le héros au lendemain de son dernier jour de travail ("Comment fait-on pour savoir si on s’est trompé de vie?") pourrait, quant à elle, aussi bien être formulée par un mourant que par un retraité.

Tout au long du livre persiste un certain malaise devant ce narrateur qui juge les choix de ses anciens collègues, craint d’être jugé par eux et ne veut surtout pas ressembler aux autres baby-boomers qui (selon lui) ont raté leur carrière… ou leur retraite. En témoignent son désir de ne pas devenir un "hédoniste égoïste", sa foi renaissante pratiquée dans la clandestinité et son emploi d’un "vocabulaire psychologisant" qui lui sert à analyser son "cheminement" mais qu’il se justifie chaque fois d’employer. Presque moralisateur, Edgar Forest considère finalement que sa retraite est réussie lorsqu’il repart vivre dans sa Gaspésie natale où il se replie sur la famille et la religion au sein d’une petite communauté dotée d’un "coeur sincère". Vision bien idyllique du terroir qui, me semble-t-il, évite à l’auteur d’envisager la nécessaire réconciliation avec une vie professionnelle terminée mais bien remplie.

Les Jambes de Steffi Graf
de Pierre Cayouette
Éd. Québec Amérique
2007, 154 p.

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