Lectures d'été : À ciel ouvert
Livres

Lectures d’été : À ciel ouvert

Fidèles à nos habitudes, nous vous suggérons quelques lectures d’été qui sauront conjuguer détente et réflexion, évasion et intelligence. Bon voyage!

Roman                                                   
La Fin de l’alphabet

de C.S. Richardson

Ambroise Zéphyr, le bien nommé, a toujours eu une fascination pour l’alphabet, les abécédaires et les lieux aux désignations peu banales tels que le mythique Zanzibar, objet de tous ses fantasmes avec ses deux "Z" et ses deux "A". Heureux époux de la chroniqueuse littéraire Zappora Ashkenazi, surnommée Zip, il mène une vie sans nuage entre leur cottage et l’agence publicitaire londonienne qui l’emploie. Lorsqu’il se fait annoncer par son médecin qu’il ne lui reste qu’un mois à vivre, Ambroise décide de réaliser un vieux rêve: un tour du monde alphabétique débutant par Amsterdam, Berlin, Chartres, etc. Premier roman de C.S. Richardson, directeur graphiste aux éditions torontoises Random House, La Fin de l’alphabet propose plus qu’une amusante formule narrative. La simplicité de l’intrigue, proche du conte, apparaîtra finalement comme un prétexte pour découvrir que l’essentiel réside dans la chaleur du foyer et de la relation conjugale. Au mouvement premier de course contre la montre, cette volonté d’accomplir dans le peu de temps qu’il nous reste les projets avortés de toute une vie, succédera donc graduellement le désir de s’arrêter et de se souvenir des beaux moments, mettant fin au voyage… bien avant la lettre Z. Trad. par Sophie Voillot, Éd. Alto, 2007, 156 p. (É.P.)

BD
L’Île aux ours

de Pierre Bouchard

Il faudrait être fou pour vouloir passer ses vacances dans un chalet près de celui de Pierre Bouchard, au pays des véhicules récréatifs polluants, mais ce n’est pas une raison pour bouder son attachante bande dessinée autofictionnelle, L’Île aux ours. Nouveau poulain de l’écurie Mécanique générale, Bouchard y retrace les souvenirs d’une adolescence plus ou moins turbulente, période qui fut comme une "grande balade en 4-roues" perpétuelle dans son Saguenay natal où l’adulte retourne l’espace d’une fin de semaine pour s’imprégner de l’ambiance des lieux. De son ancien "camp" (prononcer "campe"), où l’auteur s’installe pour l’occasion, surgissent une dizaine d’historiettes, portraits d’amis, récits de mésaventures ou de chagrins amoureux dans lesquels les motorisés (qu’il faut sans cesse "déprendre d’la swompe") ont toujours un rôle à jouer. Avec ses dessins crachés mais harmonieux, dépourvus de cases et de phylactères, ce bel album dégage une incommensurable nostalgie face à cette trop brève période de l’existence où l’on est dispensé de toute responsabilité. À l’image des vacances! Éd. Mécanique générale, 2007, 102 p. (É.P.)

Roman
Deux vies

de Vikram Seth

Comme pour le champagne, lorsque la littérature indienne parvient jusqu’au Québec, c’est qu’il s’agit généralement de grands crus! À l’instar de Salman Rushdie, Kenizé Mourad ou Arundhati Roy, Vikram Seth, qui avait publié en traduction française l’excellent Un garçon convenable (1995), fait partie de ces auteurs qui savent raconter de grandes et complexes histoires avec une fluidité et une clarté remarquables, tout en proposant un univers formel intéressant. Avec un style moderne, mais plus conventionnel et accessible qu’un Rushdie, par exemple, Seth raconte deux destinées singulières, celles de son oncle Shanti et de sa tante Henny, avec pour toile de fond l’holocauste et Londres. Non sans rappeler le talent de Styron (Le choix de Sophie) ou d’Axionov (Une saga moscovite), Seth réussit à cerner, par le biais d’une aventure particulière, presque intime, non seulement le caractère universel de toutes rencontres, mais aussi les conséquences et effets d’une tragédie qui a fait le siècle. Il nous convie à une collision entre l’Inde et l’Occident, et à une expérience du bonheur au milieu des douleurs. Éd. Albin Michel, 2007, 575 p. (S.D.)

Roman
Yesterdays

de Harold Sonny Ladoo

Né à Trinité-et-Tobago, Harold Sonny Ladoo émigre à Toronto pour échapper à la misère et y publie un premier roman fort remarqué, Nulle douleur comme ce corps, en 1972. Séjournant dans son pays natal l’année suivante grâce à une bourse du Conseil national des Arts, il est sauvagement assassiné à la sortie d’un bar, mettant précocement fin à une brillante carrière littéraire. Publié à titre posthume, son deuxième roman, Yesterdays, a attendu plus de trente ans avant de paraître en français dans l’excellente traduction de Stanley Péan. L’intrigue de cette farce paillarde se déroule en une seule journée dans un petit village trinidadien, d’où un jeune homme prénommé Poonwa rêve de s’enfuir pour aller fonder une mission hindoue au Canada. Pour ce faire, il lui faut absolument obtenir de l’argent de son père, lequel refuse d’hypothéquer sa maison. L’affaire prend une ampleur peu commune lorsque sa mère, un prêtre et les voisins entreprennent de vaincre l’obstination du vieil homme qui, de son côté, se montre davantage obsédé par les turpitudes de son locataire qui salit sans complexe les latrines de la maison. Un récit jouissif, aux accents rabelaisiens, qu’on jurerait écrit de nos jours. Éd. Les Allusifs, 2007, 152 p. (É.P.)

Roman
Les Arpenteurs du monde

de Daniel Kehlmann

En septembre 1828, le mathématicien Carl Friedrich Gauss (inventeur de la fameuse courbe qui porte son nom) débarque à Berlin à l’invitation pressante de l’explorateur Alexander von Humboldt. Mis en présence, ces deux grands esprits scientifiques aux tempéraments si opposés (l’un, irrécupérable sédentaire et monogame; l’autre, aristocrate bourlingueur) joindront leurs forces dans le but ambitieux de mesurer l’univers. Jeune prodige littéraire, Daniel Kehlmann signe cette oeuvre au rythme endiablé, déjà traduite en une trentaine de langues et considérée comme le plus grand succès romanesque allemand depuis Le Parfum de Süskind. Un récit loufoque entremêlant passion et érudition, tout entier centré sur le désespoir de ces génies incompris par le monde, et qui n’auront pas assez d’une vie pour en faire le tour. Trad. par Juliette Aubert, Éd. Actes Sud, 2007, 298 p. (É.P.)

Roman
La mère morte

de Robert Gagnon

Les amateurs de David Lodge risquent de se sentir interpellés par La mère morte, deuxième roman de Robert Gagnon, professeur au Département d’histoire de l’UQÀM. Bavard au verbe aiguisé, François Cournoyer, professeur au Département des sciences religieuses et narrateur de l’histoire, nous fait part de ses réflexions sur les universitaires qu’il observe comme des rats de laboratoire. De discussions en expériences, entre deux lancements d’essais ou deux colloques, Cournoyer sombre dans l’ironie et trempe son pinceau dans le génie des profondeurs – l’expression est moins crue que certaines images truculentes du roman lorsque citées hors contexte -, d’une de ses collègues, Simone Grenier, qu’il exècre autant qu’elle l’obsède. Parsemée de dérapages mondains ou éthiques, Cournoyer vit une période trouble et troublante, doublée de doutes (perte de foi en sa mission) et de certitudes (sur le carriérisme et l’opportunisme de certains) qui transforme aisément le verre de l’amitié en cocktail explosif. Avec cette chronique de la dérive et de la remontée, Gagnon sait faire rire le lecteur et interroger un système. Éd. du Boréal, 2007, 268 p. (S.D.)

Roman
Tous ces silences entre nous

de Thrity Umrigar

S’il est un domaine culturel en pleine effervescence, c’est bien celui de la littérature indienne. Déterritorialisée, déclinée au pluriel, celle-ci évolue au rythme d’un pays en pleine mutation dont elle illustre les contrastes et les paradoxes. Née à Bombay en 1961, Thrity Umrigar expose ainsi dans Tous ces silences entre nous les contradictions de l’Inde contemporaine: inégalités sociales et sexuelles, conflits religieux, difficile cohabitation entre tradition et modernité… Logeant au bidonville, Bhima se rend chaque jour chez Sera, dont elle est la servante, dans un quartier huppé de Bombay. Malgré le fossé social qui les sépare, et bien que Sera ne permette pas à Bhima de s’asseoir dans ses fauteuils et d’utiliser la même vaisselle qu’elle après des décennies passées à son service, les deux femmes partagent une complicité affectueuse qui, si elle était connue, ferait scandale auprès des voisins. Dans ce monde où domine encore un strict clivage entre les castes, les tensions culminent lorsque Maya, petite-fille de Bhima, tombe enceinte et abandonne ses études, mettant fin aux rêves d’une vie meilleure pour la vieille domestique. Trad. par Martine Leroy-Battistelli, Éd. Flammarion, 2007, 346 p. (É.P.)