Frédéric Beigbeder : Cul sec
Livres

Frédéric Beigbeder : Cul sec

Frédéric Beigbeder fait encore des siennes. Devançant effrontément la rentrée d’automne, il signe la nouvelle aventure d’Octave Parango, l’énergumène de 99 francs.

Dans le petit monde des lettres, il existe des sujets obligés. Critiquer le dernier salon du livre, parier sur les prochains prix du GG, se prononcer sur le talent réel de Nelly Arcan… Disserter sur le nouveau Beigbeder fait partie du lot.

L’auteur de Windows on the world – qui se permet une sortie en début d’été, à quelques lunes de la rentrée -, on l’aime ou on le déteste, on le porte aux nues ou on le conchie. Dans le magazine Lire, où il chronique lui-même, deux collègues critiques se sont prononcés: d’un côté, trois étoiles; de l’autre, une seule. C’est tout dire.

Au secours pardon, c’est d’abord le grand retour d’Octave, le publicitaire névrotique de 99 francs. Recyclé en "talent scout", c’est-à-dire en recruteur de futures reines de beauté, il sillonne la Russie à la recherche de la perle rare, dont le contrat chez L’Idéal (pas besoin d’un dessin, je pense…) est déjà rédigé. "Savoir ce qui ferait bander les mecs était mon job", annonce-t-il tout de go.

Sa quête, qui le mène des bourgades de la Russie profonde aux clubs les plus hip de Moscou, a tout du boulot de rêve pour l’accro qu’il est aux filles à peine pubères, sauf que. Sauf que l’entreprise d’Octave, on le comprend vite, en est une d’autodestruction. En s’accrochant aux corps parfaits de ses trouvailles comme à des bouées, il ne fait que gommer son mal-être. La descente aux enfers est prétexte, pour l’écrivain, à une réflexion échevelée sur le désir, sa mise en marché, mais aussi sur l’héritage parental et la disparition des repères religieux, le tout pimenté d’anecdotes sur les jeux de coulisses de la politique russe ou de "digressions cokées sur l’oligarchie".

40 ANS ET DES POUSSIÈRES

Ce qu’expose Beigbe, dont on sait qu’il place une bonne part de lui-même dans son Octave, c’est aussi la crise de la quarantaine. "J’aime répéter que ma bêtise est celle de mon temps mais au fond je sais que mon temps a bon dos et que ma bêtise m’appartient. À quarante balais on est responsable de son malheur, même si l’on paraît plus frais que lui. Ah oui, j’oublie de dire que j’ai quitté ma femme parce qu’elle avait le même âge que moi."

Octave marche vers un repentir auquel il ne croit guère. L’essentiel du récit est d’ailleurs constitué de séances de confession auprès d’un prêtre de l’Église orthodoxe moscovite, témoin muet qui jouera pourtant un grand rôle puisqu’il mettra le vil Octave sur la voie de l’exquise Lena, semant un amour trop pur pour être vrai.

La construction du roman est habile, cette "confession" étant entrecoupée de bribes de témoignages recueillis après le drame annoncé, dont Beigbe ménage l’impact jusqu’à la dernière page.

STYLE LIBRE

Ce qui en agace plusieurs, dans l’écriture de Beigbe, c’est ce qui agace en général chez le type: celui qui gesticule, parle trop vite, crapahute, a naturellement développé une langue nerveuse, d’une intelligence sautillante, qui ne sert les références littéraires, le plus souvent, que pour les triturer: "Tennessee Williams dit n’importe quoi: le désir n’est pas un tramway, mais une cheville, un galbe de hanche ou de gorge à la chair de poule […]."

S’il est vrai que cet adepte du jab stylistique ne peut pas résister à l’envie de balancer quelques effets faciles ("Je lui ai dit que ses jambes étaient deux flèches plantées dans mon coeur", "Je détruisais ces mijaurées parce que j’allais mal et j’allais mal parce que j’étais mâle.", Au secours pardon n’ennuie jamais et se boit comme une vodka, cul sec, pendant qu’en filigrane, au détour d’une galipette, apparaît ça et là la réelle profondeur du propos, une radiographie du temps présent particulièrement juste. Juste parce qu’excessive.

Au secours pardon
de Frédéric Beigbeder
Éd. Grasset, 2007, 324 p.

À lire si vous aimez
Kuru de Thomas Gunzig
99 francs du même auteur, évidemment.

Au secours pardon
Au secours pardon
Frédéric Beigbeder
Grasset