Hélène Rioux : Destins croisés
Hélène Rioux inaugure une tétralogie romanesque qui nous invite à faire le tour de la Terre aux périodes-clés de sa translation. Première étape: le solstice d’hiver.
Chez Hélène Rioux, c’est au coin de Saint-Vallier et Saint-Zotique que l’on trouvera le Bout du monde. Ce modeste boui-boui ouvert 24 heures sur 24 est le repaire favori de toutes sortes de solitaires qui s’y retrouvent autour des spécialités de la maison, dont le fameux "spécial des Fêtes" servi à longueur d’année. Et c’est surtout là que se déroule l’action du premier et du dernier chapitre de Mercredi soir au Bout du monde.
Entre les deux, le lecteur fait littéralement le tour de la planète, de la Floride à la Bulgarie, en passant par Vancouver et Mexico. À chaque étape, de nouveaux personnages apparaissent, plus ou moins apparentés les uns aux autres: une historienne, un cireur de chaussures, des danseuses nues, un peintre, un cinéaste… Chacun d’entre eux vit son petit drame ou sa remise en question en ce même jour de solstice, juste avant Noël.
Les 15 récits formant l’architecture audacieuse de cette oeuvre sont comparés par l’éditeur à des poupées gigognes, ces figurines en bois traditionnelles qui s’emboîtent les unes dans les autres. En lisant une des scènes finales du roman où un écrivain s’adonne à sa passion pour le scrabble, s’imposait davantage pour moi l’image de ce jeu de société, la romancière tissant différents univers que tout sépare à première vue mais qui ne peuvent exister qu’à partir du moment où ils s’entrecroisent, formant une mosaïque de plus en plus cohérente au fil de la lecture.
Car ce sont précisément les intersections de ces destinées qui, à l’image des méridiens et des parallèles, cimentent le texte de Rioux. De la perspective Nevski au boulevard Taschereau, défilent d’une certaine façon aussi tout le vingtième siècle et même toute l’aventure humaine, donnés à lire avec leurs multiples repères historiques, mythologiques et culturels: Don Juan, la conquête du Mexique par Cortés, l’Union ouvrière de Flora Tristan, les vahinés de Gauguin, un film hollywoodien des années 40…
Mercredi soir au Bout du monde est le premier de quatre romans qu’Hélène Rioux se propose de rassembler dans un cycle intitulé Fragments du monde. Projet humaniste et érudit sur ce qui nous rassemble au-delà des frontières, c’est aussi le roman mûri d’une grande écrivaine déjà trois fois finaliste à un Prix du Gouverneur général (pour ses romans Les Miroirs d’Éléonore et Pense à mon rendez-vous, et pour la traduction de Self de Yann Martel). Osons une prédiction: cette fois-ci sera la bonne.
Mercredi soir au Bout du monde
d’Hélène Rioux
XYZ éditeur, coll. "Romanichels"
2007, 227 p.
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La trilogie Soifs de Marie-Claire Blais