William Boyd : Double vie
William Boyd nous rappelle éloquemment que tout "récit d’une vie" n’est qu’un grand mensonge.
Elias Levy
L’écrivain britannique William Boyd adore l’Histoire et les histoires. Dans son neuvième roman, La Vie aux aguets, il mêle avec brio la grande H… et la petite h… Espionnage, Seconde Guerre mondiale, mystérieux destin d’une femme sont les principaux ingrédients de ce récit haletant qui se lit comme un polar.
Ruth Gilmartin, 28 ans, prépare une thèse de doctorat à l’Université d’Oxford. Sa mère Sally, elle, bichonne son cottage dans les parages. Un jour de l’été caniculaire de 1976, Sally révèle à sa fille son passé d’espionne, qui l’a soudainement rattrapée. Émigrée russe – son vrai nom est Eva Delectoryskaya -, elle a été recrutée dans les années 30 à Paris par un dénommé Lucas Romer. Ce maître espion british au charme trouble l’embringue dans une aventure rocambolesque: devenir un agent secret à la solde de la British Security Coordination, une vaste organisation d’opérations clandestines dont la tâche est de persuader les États-Unis, par tous les moyens, et surtout par la ruse, d’entrer en guerre contre l’Allemagne nazie, quitte à inonder le pays de fausses rumeurs et d’informations alarmistes. Cette machine de propagande britannique a réellement existé en 1940-1941, précise le romancier dans sa postface.
En un long flash-back, Boyd raconte les péripéties vertigineuses de cette jeune espionne se débattant vaillamment dans les multiples tourmentes de la Seconde Guerre mondiale. Des épreuves existentielles ardues qui permettent de "révéler le côté dérisoire des hommes, leur incroyable précarité". L’auteur exhume un cadre historique irréfutable, peu connu et passionnant.
La quête d’identité (un thème qui hante les romans de Boyd), le mensonge et la trahison constituent la trame centrale de ce roman palpitant. Le romancier inscrit ses personnages dans une construction méticuleuse, où les vérités de l’intime glissent sur le murmure des dissimulations. À ce récit captivant, l’auteur du livre-culte Un Anglais sous les tropiques ajoute une analyse des intrigues géopolitiques entre l’Europe et l’Amérique, dans les coulisses de la dernière Grande Guerre. Une réflexion perspicace sur les limites de la realpolitik.
La Vie aux aguets est un grand roman d’espionnage britannique, écrit à la manière de John le Carré, dépourvu de toute lourdeur et un rien déjanté. William Boyd mène avec finesse et subtilité une intrigue aux fils presque invisibles. Un bonheur!
La Vie aux aguets
de William Boyd
Éd. du Seuil, 2007, 334 p.