Turgeon, Hausman… : Entre les lignes
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Turgeon, Hausman… : Entre les lignes

Turgeon, Hausman… Petit retour sur deux BD toutes chaudes.

PRINTEMPS LUNAIRE

L’an dernier, David Turgeon publiait aux Éditions Fichtre! le premier tome de La muse récursive, un "roman graphique-fleuve" dont la version définitive devrait comporter 3 tomes et compter quelque 300 pages. Mon collègue Éric Paquin, enthousiaste, notait alors la fraîcheur du trait et la qualité des dialogues, parlant d’enchaînements "réglés au quart de tour" et d’un traitement graphique "déjà très affirmé pour un premier album".

Il va sans dire que j’ouvrais Printemps lunaire, qui s’inscrit celui-là dans la collection Mécanique générale des 400 coups, avec des attentes assez élevées. De fait, on est vite séduit par ce trait volontairement désinvolte, l’habileté manifeste, dès les premières cases, à bien découper l’histoire, et par cet humour qui, dans sa manière de capter beaucoup de l’esprit québécois et plus précisément montréalais, rappelle à l’occasion celui de Rabagliati.

Turgeon emboîte plusieurs histoires dans une histoire principale, qui met en relation une galerie de jeunes professionnels du cinéma québécois. Il y a entre autres David, cinéaste et Artiste avec un grand A, Diane, actrice arrivée par accident dans le métier et qui fait tourner toutes les têtes, Dissimulata, une sorcière énigmatique… Çà et là, des films ou bouts de scénarios s’insèrent dans la trame, brèves mises en abymes.

Printemps lunaire, on s’en doute, contient de nombreuses références cinématographiques, ces dernières étant explicitées à la fin du livre. N’empêche, on perd le fil à un moment ou deux, on questionne la pertinence de faire intervenir continuellement le narrateur dans un enchevêtrement déjà passablement complexe, avant que Turgeon ne retombe sur ses pattes et parvienne à boucler la boucle.

David Turgeon, aussi créateur de sites Web, compositeur de musique électronique et… inventeur d’un langage informatique (!) signe un album intelligent, imprévisible, et les bémols ici relevés sont de menus griefs en comparaison du manque d’audace ou d’invention observés si souvent chez les jeunes auteurs québécois.

LE CAMP-VOLANT

Dans un registre bien différent, mais où les règles de la BD se conjuguent également à un propos singulier, nous recevions récemment Le Camp-Volant, de l’auteur belge René Hausman. La couverture de l’album, où l’on voit un petit homme étrange marcher sous un grand arbre, dans lequel grouillent des lutins non moins étranges, donne le ton. Bienvenue dans un univers de légende, "peut-être quelque part dans le cours du dernier siècle et sans doute au creux d’une brumeuse forêt du Nord", sur les traces du Camp-Volant, sorte de vagabond des Ardennes d’antan.

Âme pure, compagnon apprécié par les uns et redouté par les autres, le Camp-Volant n’est pas tout à fait de ce monde, ce qui, tôt ou tard, lui cause des ennuis dans ces régions reculées, terreau fertile pour les racontars et les superstitions.

À la lecture, on ne peut s’empêcher de penser à la célébrissime série "Magasin général" de Loisel et Tripp, qui a pour cadre un autre terroir, québécois celui-là. Le ton, le trait; il y a une parenté, c’est indéniable, mais Hausman a sa signature, lui qui fait souvent l’économie d’une délimitation claire entre les cases, et dont les dialogues, toujours à cheval sur le non-dit, ont quelque chose de particulièrement savoureux.

Printemps lunaire
de David Turgeon
Éd. Les 400 coups, coll. "Mécanique générale"
2007, 160 p.

Le camp-volant
de Hausman
Éd. Dupuis, coll. "Aire libre"
2007, 58 p.