Claude Péloquin : Rien ne sort de rien
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Claude Péloquin : Rien ne sort de rien

Claude Péloquin lançait plus tôt cette année Coeur Everest, fruit d’une mécanique éditoriale pour le moins étonnante. Petite enquête sur le sujet.

"Voilà ce qui fait le bon commerçant. Il vous fait acheter ce qu’il a besoin de vendre", écrivait James Joyce à une époque où l’édition littéraire misait encore sur des livres, des auteurs, plus que sur des projets ou des phénomènes marketing pour emplir ses coffres. Mais bon, à chaque époque ses manières de ripaille, dira-t-on. Or voici que revient dans notre paysage un auteur qui, lui, n’a jamais eu peur d’associer un certain mercantilisme à une littérature et ainsi à son produit. Courage, sottise, vente de l’âme et du coeur, qui sait? Qui pourrait dire? Revenu donc, l’auteur de Lindberg et Monsieur l’Indien, après tout près de neuf ans de silence poétique, avec un ouvrage digne de mention, mais pour des raisons qui cette fois ne concernent que trop peu la littérature.

Claude Péloquin, le "mercenaire de l’éternité" (l’expression est de Roger Chamberland), faisait paraître en mars dernier Coeur Everest, un livre-panorama, un livre-collage, un phénomène marketing assez coup-de-poing s’apparentant plus au dossier de presse publié qu’à un réel ouvrage de bilan sur une oeuvre ou son auteur comme nous en offrent si magnifiquement et trop rarement les Cahiers de l’Herne, par exemple. Divisé en cinq sections ("Le Personnage", "Le Poète", "Le Corpo", "Le Saltimbanque" et "Le Découvreur"), l’album offre au lecteur, initié ou non, un survol de la carrière et de la production du poète qui "préfère passer pour fou que de passer tout droit", le tout truffé assez grassement de multiples portraits de l’auteur, basané, moins, plus, habillé, oui, non, au choix, de même que d’extraits de critiques parues au fil des ans, de préfaces reproduites, d’hommages affirmés, de témoignages nous informant des amitiés et collaborations de l’auteur (avec Jordi Bonet, entre autres) ou de textes poétiques nous transportant dans l’univers décousu de celui-ci.

Si le livre apparaît en fait comme une bonne manière de s’initier à cet univers propre au "flambant nu", il en résulte toutefois une impression de "déplacé", de mauvais goût dans le projet. Par exemple, dans la section intitulée "Le Corpo", il nous est dit et montré comment Péloquin fait désormais carrière dans la vente de textes manuscrits à des entreprises et des collectionneurs, idée qui lui fut insufflée par les grands du mécénat québécois: Guy Laliberté et Daniel Langlois. Mais davantage puisque, en y regardant bien, nous remarquons que certains de ces textes ont été reproduits sobrement, en noir et blanc, avec simple mention du commandeur, tandis que d’autres ont plutôt bénéficié d’un traitement graphique privilégié, arborant en pleine page les couleurs corporatives des institutions créancières.

En creusant un peu plus, nous apprenons que le livre fut en fait en partie subventionné par les institutions ayant passé les commandes. Ainsi, Via Rail Canada et le Fonds de solidarité FTQ m’ont confirmé avoir conclu une entente avec Lanctôt éditeur pour l’achat d’une partie du tirage du livre, à offrir ensuite en cadeaux corporatifs. Est-ce que l’éditeur a en retour décidé de leur offrir une page maquillée de leurs couleurs? La question se pose. En revanche, le traitement sobre des "poèmes corporatifs" reproduits en noir et blanc découle peut-être du refus de certaines entreprises de se procurer une partie de l’impression du bouquin; le Groupe St-Hubert ayant, lui, confirmé n’avoir au préalable acheté aucune copie. S’agit-il là d’une nouvelle manière de faire de l’édition au Québec? La question se pose tout autant.

Claude Péloquin nous a lui-même confié, lors d’une entrevue téléphonique accordée le 23 avril dernier, que Coeur Everest était né d’une commande passée par Michel Brûlé (propriétaire de Lanctôt éditeur), lui suggérant de rassembler en un livre les poèmes corporatifs composés au fil des ans. Et vu l’ambition du projet, ce dernier lui avait par le fait même signifié son désir de prendre certains arrangements avec les firmes pour lesquelles les poèmes furent produits afin d’écouler en prévente une partie du tirage (puisque l’ouvrage se vend au prix fort de 24,95 $ et que ses coûts de production sont élevés). Puis se sont greffés aux textes les artifices précédemment nommés pour donner le présent objet, un peu fourre-tout, un peu brouillon, mais qui réussit tout de même à donner à qui veut bien prendre quelque information sur le poète urbain pour qui le Québec est la cause d’une "infinie tristesse" et qui, bien qu’il veuille qu’on se souvienne de lui comme d’"un poète qui a tout donné à la poésie", y allait largement de ses frasques ethnocentristes chez Christiane Charette, le 20 avril dernier. À fuir donc… si la littérature vous intéresse.

Coeur Everest
de Claude Péloquin
Lanctôt éditeur, 2007, 136 p.

Coeur Everest
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Claude Péloquin
Lanctôt