Vladan Matijevic : Petite mort
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Vladan Matijevic : Petite mort

L’écrivain serbe Vladan Matijevic rassemble des fragments érotiques mi-amusants, mi-sérieux mettant tous en scène la même héroïne délurée.

Ce n’est pas seulement le corps splendide de Minette Accentiévitch qui rend fous les mâles. Incorrigiblement de bonne humeur, la jeune nymphomane a un rire contagieux et ne peut littéralement pas vivre sans homme. Elle ne craint d’ailleurs pas de gérer un grand nombre de liaisons à la fois, sûre de ne jamais souffrir d’abstinence plus de quelques heures par jour. Elle séduira donc tour à tour le laitier, son médecin, un poète, un jeune diacre, un garçon de café, un chauffeur de camion, le conservateur du musée d’art contemporain… mais jamais (au grand jamais) un employé de bureau, "fût-il pourvu d’un vit d’or".

Pourvu qu’ils se démènent au lit sans songer à s’y reposer, ces hommes en ont pour leur argent, argent qu’ils ne sont pas obligés de dépenser pour elle de toute façon, même si Minette aime bien se faire appeler "petite pute" à l’occasion. Employée au Service des eaux, où elle téléphone fréquemment la bouche pleine pour annoncer qu’elle est malade, Minette est une étourdie qui n’utilise son cerveau que lorsqu’elle se demande quelle marque de cigarettes acheter. Étourdie au point de devoir prendre la fuite durant la cérémonie de son propre mariage, qu’elle avait d’abord accepté sans réfléchir. Bref, "Minette est une séductrice qui fait des ravages. Quand son regard s’allume et fait des étincelles, tout ce qui peut brûler prend feu".

Un roman érotique… serbe? Même si l’expression a des airs d’oxymore, la maison des Allusifs semble avoir trouvé dans le livre de Vladan Matijevic matière suffisante à s’aventurer dans ce registre littéraire pour la première fois. Il faut préciser que l’approche très personnelle de Matijevic est loin de se limiter aux poncifs du genre. Parmi les quelque 70 brefs récits composant Les Aventures de Minette Accentiévitch, il y a le passage obligé par les multiples postures, partenaires et lieux où se déroule l’"action" (dans une Audi ou dans une Fiat, dans la nature, sur la table de la salle à manger, devant le miroir…). Puis, c’est lorsque le lecteur pense ne plus pouvoir être étonné que l’écrivain se surpasse en proposant une variation sur l’"effet papillon", alors que les prouesses sexuelles de Vesko Manoïlovitch avec Minette provoquent l’éruption d’un volcan en Indonésie et une tempête en mer qui fait échouer un bateau, le couple ignorant sa responsabilité indirecte dans la noyade de quelque 200 passagers.

Une belle poésie enrobe ainsi les fictions éthérées de Matijevic, ciselées pour la plupart en de courts paragraphes de même longueur où l’écrivain ne craint pas d’intervenir pour nous informer de l’effet qu’ont ses histoires sur sa propre anatomie. Et si la plupart des fragments se donnent à lire comme n’importe quel récit érotique, d’autres sont à comprendre au second degré, dans "Minette se fait avorter", "Minette et la mort" et "Mauvaise conscience" notamment, où le contenu tragique se heurte à la légèreté du personnage.

Traduit par Gojko Lukic et Gabriel Iaculli, qui nous avaient donné la version française du Guide de Mongolie de Svetislav Basara plus tôt cette année (chez le même éditeur), ce nouvel opus de la littérature serbe invite à apprécier une culture où semblent voués à cohabiter autodérision, désespoir et jouissance.

Les Aventures de Minette Accentiévitch
de Vladan Matijevic
Trad. par Gojko Lukic et Gabriel Iaculli
Éd. Les Allusifs, 2007, 152 p.

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