José-Louis Bocquet et Catel Muller : Modèle vivant
Livres

José-Louis Bocquet et Catel Muller : Modèle vivant

José-Louis Bocquet et Catel Muller font revivre l’égérie des surréalistes dans une bande dessinée envoûtante: Kiki de Montparnasse.

Fraîchement débarquée de sa Bourgogne natale, montrant d’abord ses seins pour trois francs dans les rues de Paris, Alice Prin (1901-1953), dite Kiki, est rapidement remarquée par Kisling, Soutine, Foujita et Modigliani pour qui elle sera un modèle privilégié tout au long des années 20. Sa liaison avec Man Ray, qui l’immortalise dans Le Violon d’Ingres (la célèbre femme-violoncelle au turban, c’est elle), icône de la photographie surréaliste, lui vaudra également d’apparaître dans des films de l’avant-garde française et d’être l’une des figurines en fil de fer d’Alexander Calder.

Reine de ce Montparnasse qui fut ni plus ni moins le centre du monde artistique entre les deux guerres, le célèbre modèle devenue peintre à son tour, puis chanteuse de cabaret, méritait bien que gravite autour de sa personne ce bel hommage aux années folles. L’album, composé de plus de 300 planches et paru dans la collection d’élite "Écritures" chez Casterman, oscille en effet entre l’épopée d’une libertine des plus attachantes et la peinture de moeurs, dédiée à ce quartier parisien où sont apparues toutes les formes de l’art moderne.

Au scénario, José-Louis Bocquet couvre rien de moins qu’un demi-siècle d’histoire de l’art en une habile succession de dialogues, dévoilant les luttes intestines que se livraient cubistes, dadaïstes et autres surréalistes, vus à travers les yeux de cette fille légère mais jamais dupe des artistes qu’elle côtoyait quotidiennement. Les illustrations de la dessinatrice Catel Muller font preuve de nuances dans l’utilisation du noir et blanc, affichant sous des angles inhabituels certaines oeuvres archiconnues où figure Kiki, rendant alternativement compte du succès et de la déchéance de son héroïne, devenue quasi clocharde avec l’abus de stupéfiants au moment où résonnaient les bottes allemandes dans les rues de Paris.

Sous la plume et le pinceau de Bocquet et Catel, celle qui fut l’amie de Cocteau, Duchamp, Desnos, Aragon, Hemingway et Tzara, cette "femme-artiste" que les provinciaux qualifiaient de "grue", n’est pas sans nous rappeler Colette ou Édith Piaf, autres modèles de gloire et de liberté féminines comme Paris seul pouvait en produire au début du vingtième siècle. Refusant plusieurs mariages prestigieux pour préserver l’indépendance de son existence hors norme, Kiki fait preuve d’un appétit pour la vie contagieux et qui constitue une belle leçon en notre ère platement conservatrice.

Kiki de Montparnasse
de Catel Muller et José-Louis Bocquet
Éd. Casterman, coll. "Écritures"
2007, 374 p.

À lire si vous aimez
La série des Claudine de Colette
Le Sang des Valentines de Catel et De Metter

Kiki de Montparnasse
Kiki de Montparnasse
José-Louis Bocquet et Catel Muller
Casterman