Nahal Tajadod : Vos papiers!
Nahal Tajadod fait le récit de ses abracadabrantes démarches pour renouveler son passeport iranien. Drôle et révélateur.
En 2005, Nahal Tajadod, auteure iranienne vivant à Paris depuis 1977, entreprend à Téhéran des démarches pour renouveler son passeport. Si vous avez déjà invectivé les saints, dans une file d’attente, en trouvant compliquée pour rien l’obtention de votre petit livret bleu, voici de quoi vous consoler…
À partir de ce fait vécu, donc, la spécialiste des relations entre l’Iran et la Chine, à qui l’on doit par ailleurs Roumi le brûlé (2005), une biographie romancée du grand poète persan, a imaginé une singulière incursion dans la très codifiée société iranienne. Vif, drôle, sarcastique, Passeport à l’iranienne est né d’anecdotes, mais son propos dépasse de beaucoup le récit amusé, et en expliquant par quels stratagèmes et rebondissements elle est passée pour obtenir ledit document, Tajadod nous fait vivre 11 jours d’errance bureaucratique en disant plus long sur son pays que bien des essais spécialisés.
GARDEZ LA POSE…
La folle histoire commence quand la narratrice entre dans l’atelier Ecbâtâne, tenu par deux photographes sympathiques, mais dont on comprendra bientôt que leur empressement à servir la cliente cache un souhait bien précis: qu’elle les aide à remplir une demande de visa leur permettant de se rendre en Europe. Elle peut bien leur rendre ce petit service, se dit-elle, ce qui ne l’engage à rien à proprement parler. Or, les choses ne seront pas si simples, et tandis qu’elle réalise que le processus d’obtention d’un passeport s’est passablement complexifié depuis sa dernière demande, elle se retrouvera liée à toute une petite faune de gens qui contournent tant bien que mal les règles et interdits du pays pour arriver à leurs fins.
FAMILLE ELARGIE
Notre narratrice, pour arriver à ses fins à elles, devra passer par tout un réseau de relations familiales, ce qui permet à l’auteure de montrer les règles du savoir-vivre, adorables mais exigeantes, dans une société où recevoir à la maison est un art en soi.
On se familiarise par ailleurs avec les traditions commerçantes, celle du târof par exemple, qui consiste à refuser, dans un premier temps, tout paiement… Puis, au détour d’une péripétie, un regard sur la ville: "Dans cette folie anarchique de construction, chacun y est allé de son mauvais goût. Je n’oublierai jamais une observation de ma mère qui disait: "Téhéran est finalement devenue très belle, parce que, maintenant, il y règne une harmonie dans la laideur. Tout est uniformément laid." Et elle n’avait pas tort. Elle avait rarement tort."
Passeport à l’iranienne a le défaut de ses qualités, comme on dit: les démarches labyrinthiques de la narratrice finissent par nous saouler nous aussi, et c’est par de larges doses d’humour et d’esprit que Tajadod nous tient en éveil.
Au final, on referme ce roman qui n’en est un qu’à moitié le sourire aux lèvres, moins idiot, soudain convaincu que l’obtention d’un passeport canadien a tout d’un jeu d’enfant.
Passeport à l’iranienne
de Nahal Tajadod
Éd. JC Lattès, 2007, 306 p.