Patrick Nicol : Trous de mémoire
Avec La Notaire, Patrick Nicol signe le premier titre fort de la rentrée, quelque part entre l’étude de moeurs et le roman noir.
Au départ, il y a un homme et une maison. L’homme vient de quitter Marie, cette femme qu’il se rappelle distinctement avoir aimée, cette femme à laquelle il n’a rien à reprocher, mais qui lui semble aujourd’hui étrangère. "Elle a dit Tu ne m’aimes plus et il n’a pas répondu. Ce devait être le début du courage, ou alors la fatigue qui fait que l’on s’abandonne au mouvement."
La maison, elle, se dresse dans le quartier où il a grandi, un quartier populaire de Sherbrooke (ce n’est pas dit clairement, mis à part un nom de rue, mais quand on a soi-même grandi à Sherbrooke, on reconnaît). Aimanté par les lieux, l’homme achète la maison à sa propriétaire actuelle, une veuve qui a déjà un pied dans la tombe, comme s’il allait y trouver une part oubliée de lui, des bouts d’enfance capables de combler ces larges trous dans sa mémoire.
Que s’est-il donc produit dans cette demeure trop grande pour un quarantenaire seul, sans enfant, et que Marie l’aide à retaper, docilement, comme une femme qui n’a pas tout à fait renoncé à son amour évanoui? Que recèlent ces quelques photos laissées par la vendeuse, photos prises il y a longtemps par feu son mari, et sur lesquelles on le voit lui, jeune garçon, à une période qu’il a tant de mal à se remémorer?
La notaire est un roman à énigmes. Des énigmes qui vont grandissant au rythme où celle qui lui donne son titre, la notaire chargée de la vente, s’incruste dans la nouvelle vie et dans les pensées de l’homme. Simple aventure? Simple appétit des corps? Rien n’est simple, ici, et la jeune professionnelle va bientôt jouer un rôle crucial dans l’évolution de l’histoire.
PORTES CLOSES
Avec de tels ingrédients, personnages en apparence ordinaires évoluant dans un contexte en apparence ordinaire, Patrick Nicol aurait pu manquer son coup. Comment se fait-il que le livre ne nous tombe jamais des mains, malgré les incertitudes qui planent et la répulsion que nous inspire bientôt cet homme-mollusque, qui ne souhaite qu’être aimé, se lover sans attentes dans la chaleur du désir d’autrui? "L’homme vivrait constamment dans le bonheur d’avoir baisé, comme dans l’engourdissement d’un grand plat de pâtes qu’on mange l’hiver en rentrant d’aller glisser." Tout est dans le savoir-faire d’un écrivain arrivé à maturité, l’auteur des Années confuses (1996) et de Paul Martin est un homme mort (1997), entre autres, ici parfaitement maître de ses mots.
Patrick Nicol nous tient en haleine grâce aux ambiances créées, à la précision du trait, à la sobriété dont il fait preuve dans ce registre du souvenir vague où les écrivains, le plus souvent, s’enlisent et perdent le fil. Surtout, et c’est la particularité première de ce livre, il glisse en cours d’écriture du portrait clinique d’un homme seul à l’efficacité mécanique du thriller.
De cette maison vivante, nous aussi, lecteurs, aurons du mal à ressortir.
La Notaire
de Patrick Nicol
Éd. Leméac, 2007, 144 p.