Colum McCann : La loi du silence
Colum McCann trace le parcours d’une poétesse tzigane errant sur les chemins de l’Europe au milieu du dernier siècle.
Né à Dublin en 1965, aujourd’hui installé à New York, Colum McCann a déjà signé cinq romans s’appliquant à reconsidérer l’histoire du vingtième siècle à travers le prisme de la marginalité, de l’exil et de l’exclusion. Premier grand succès de l’écrivain irlandais, Les Saisons de la nuit (paru en 2000) évoquait les destins parallèles des sans-abris et des travailleurs employés à creuser les tunnels des égouts new-yorkais. Son magnifique Danseur, acclamé à travers le monde en 2003, s’attachait quant à lui au parcours de Rudolf Noureïev, le plus célèbre exilé de notre époque, décrivant la période de la guerre froide par le biais du microcosme de la danse classique.
Avec Zoli, McCann pointe maintenant son nez à l’intérieur des roulottes tziganes, cherchant à comprendre la culture d’une population apatride dont le mode de vie fut la cible de maints régimes tyranniques. N’étant lié à la culture rom par aucune sorte de lien personnel ou familial, l’auteur dit s’être immiscé dans cet univers grâce à l’unique privilège du romancier de pouvoir "se précipiter là où les autres n’oseraient peut-être pas s’aventurer". Malgré certaines sources auxquelles l’écrivain a pu puiser, le projet est en effet périlleux, se consacrant à un peuple éparpillé en diverses communautés et qui, de tout temps, a rejeté l’écrit, cultivé l’art du mensonge et puni quiconque transmettait ses coutumes aux "gadje" (étrangers), comme nous le rappelle à plusieurs reprises ce roman.
L’histoire de Zoli débute en Slovaquie, au printemps 1930. Un bataillon fasciste de la Hlinka (la Gestapo locale) a rassemblé une communauté tzigane au centre d’un lac gelé jusqu’à ce que la glace craque, engloutissant dans l’eau les roulottes et leurs habitants. La petite Zoli et son grand-père Stanislaus ayant échappé au massacre, commence pour la jeune fille une longue période d’errance. Encouragée à l’écriture par son grand-père, au mépris des coutumes gitanes qui interdisent cet apprentissage aux femmes, Zoli dissimulera son savoir à ses compatriotes de la troupe rom à laquelle elle se joindra dans les environs de Bratislava. Aimée et reconnue pour ses talents de chanteuse, elle créera par la suite ses propres complaintes et sera remarquée, après la guerre, par un jeune écrivain anglais, Stephen Swann, attiré en Slovaquie par un idéal socialiste. Amoureux de Zoli qui désire rester libre et auprès des siens, Swann finira par la trahir en publiant son oeuvre, provoquant le bannissement de la jeune femme.
S’inspirant de la tragique histoire d’une certaine Papusza, poétesse gitane du milieu du vingtième siècle, l’exil romancé de Zoli transporte le lecteur des années trente à aujourd’hui, de la Bohème à la France, en passant également par l’Autriche et par l’Italie. Bien qu’articulé autour d’une histoire d’amour étrange et peu crédible, le roman de McCann fascine avant tout pour le tableau qu’il trace de l’histoire régionale des Roms, peuple fier de sa liberté, persécuté d’abord par les nazis, puis par le régime soviétique qui mit fin à son nomadisme séculaire en brûlant ses caravanes et en l’obligeant à vivre dans des tours neuves au nom d’une cruelle "nécessité historique".
Zoli
de Colum McCann
Trad. par Jean-Luc Piningre
Éd. Belfond, 2007, 328 p.
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Les Saisons de la nuit du même auteur