Pierre Tourangeau : La queue de la comète
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Pierre Tourangeau : La queue de la comète

Le stoïque Pierre Tourangeau, dont on savait déjà qu’il lâchait son fou dans ses romans, fait paraître un livre survolté, inventif et touchant. Nous en discutons avec lui.

Nous connaissons tous Pierre Tourangeau, premier directeur des contenus, nouvelles et actualités à la télévision française de Radio-Canada. Nous le connaissons tous, mais tous ne connaissent pas son double littéraire. Derrière les apparences de ce journaliste ultra-professionnel, toujours posé, bouillonne un écrivain des plus originaux, qui se plaît à brouiller les pistes chez ceux qui d’aventure tentent de catégoriser son travail.

Nous nous sommes entretenus avec lui de cette passion de moins en moins secrète, et en particulier de son pétaradant nouveau roman, La Moitié d’étoile, en librairie à compter du 5 septembre.

Voilà un roman étonnant, à cheval sur le réalisme et la SF la plus fantaisiste… Vous saviez dès le départ où cette histoire allait vous mener, ou vous vous êtes abandonné en cours d’écriture aux lois d’un imaginaire complètement délié?

"Je me rendais bien compte, en réfléchissant à ce roman et en cours d’écriture, qu’il serait inclassable. Je l’ai bien vu en fin de semaine en lisant le survol des livres attendus pour la rentrée que faisait Danielle Laurin dans Le Devoir. Pour décrire La Moitié d’étoile, elle parlait d’une parodie du monde littéraire qui frôle la science-fiction. En fait, ce n’est pas l’un ni l’autre et un peu des deux. Ce roman correspond très bien à ce que j’ai voulu faire, le plan en était arrêté dès le départ.

Je suis fasciné par tout ce que nous ignorons, nous Humains, et par notre capacité d’imaginer ce que nous ne savons pas. Cette fascination m’a nourri comme journaliste et comme romancier. Le journaliste cherche la vérité derrière le discours officiel, les faits qu’on veut cacher, les événements qu’on veut occulter; le romancier construit des mondes possibles, invente des événements qui pourraient ou auraient pu se produire. Dans La Moitié d’étoile, je me suis amusé avec un écrivain qui, lorsque emporté par sa fièvre créatrice, ne sait plus distinguer ce qu’il invente de la réalité. Ça m’a permis de pousser plus loin les questionnements qui m’habitent, d’explorer plus profondément et d’une façon plus originale, voire ludique, mes thèmes habituels qui, eux, disons-le, n’ont rien d’original: qui sommes-nous? d’où venons-nous? pourquoi sommes-nous? À mes amis qui me demandent de décrire La Moitié d’étoile, je leur dis qu’il s’agit d’une sorte de Star Trek existentiel."

Avez-vous été inspiré, dans cette voie, par certains auteurs? Ce registre est tout de même assez peu usité au Québec…

"Tant mieux si le registre est peu usité. C’est exactement ce que je souhaitais. Je me suis éclaté en écrivant La Moitié d’étoile et je souhaite qu’il en soit de même pour le lecteur. Je ne peux pas dire que j’ai été influencé par un auteur en particulier. Par contre, j’aime bien la SF. À vrai dire, plus jeune, j’en ai beaucoup lu: Dick, Bradbury, Pelot, Farmer, Brunner à qui j’ai emprunté l’idée de ces exergues que je place toujours en tête de mes chapitres. Pour moi, un bon roman est un bon roman, qu’il soit policier, de science-fiction ou qu’il appartienne à la "grande littérature". Qui oserait dire, par exemple, que Simenon n’est pas un grand écrivain? Je suis souvent sorti d’un polar ou d’un SF plus bouleversé que par la lecture d’un grand prix littéraire. C’est peut-être ce qui explique que mes romans, même s’ils traitent en filigrane de grandes questions philosophiques, métaphysiques et autres trucs en "ique", ont une intrigue presque policière et des héros qui ne détonneraient pas dans des romans d’action."

Toutes ces références à l’astronomie traduisent une grande passion pour les astres et l’univers. Quand et comment est née cette passion? Et surtout, comment l’idée de faire une si large place à ces références dans le roman a-t-elle fait son chemin?

"Enfant, j’ai souffert de ce qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de déficit d’attention/hyperactivité. Je l’ignorais parce qu’on ne connaissait pas ça à l’époque, mais j’en suis convaincu maintenant. On peut bien gueuler contre le Ritalin aujourd’hui (et peut-être qu’on en prescrit à tort et à travers dans certains cas), mais je dois dire qu’en rétrospective, j’aurais bien aimé que ça existe il y a 45 ans. À l’école, entre 11 et 18 ans, j’ai eu énormément de difficulté à assimiler la matière abstraite. En gros, les sciences et les mathématiques. Pourtant, les sciences m’attiraient. Très vite, je me suis mis à lire des ouvrages de vulgarisation scientifique puis, évidemment, de la science-fiction. En fait, c’était surtout les questions auxquelles les sciences tentent de répondre qui m’intéressaient, en particulier celles qui cherchent les solutions aux grandes interrogations existentielles. Il était donc normal que je me tourne du côté des étoiles et des galaxies, qui sont en soi fascinantes comme phénomènes.

Je cherchais une façon de partager avec le public lecteur cette préoccupation, cet intérêt habituellement propre à quelques mordus et aux spécialistes."

Quelle place occupe l’écriture romanesque dans votre vie, aujourd’hui, alors que vous avez des responsabilités professionnelles sans doute très contraignantes?

"Mes responsabilités professionnelles ont toujours été très contraignantes. Elles le sont encore plus maintenant. Mes trois premiers romans ont été publiés en l’espace de quatre ans, de 1998 à 2002. Je n’ai donc pas publié depuis cinq ans. J’ai moins de temps pour écrire, il est vrai, mais je suis surtout préoccupé par la qualité de ce que je publie. Je n’envoie pas tout à mon éditeur, des romans demeurent inachevés. Cela dit, l’écriture fait partie de ma vie. C’est une passion, un besoin, comme le Scrabble pour certains, la peinture pour d’autres. Tout le monde a au moins une passion, non? J’aurai toujours du temps pour l’écriture romanesque."

La Moitié d’étoile
de Pierre Tourangeau
XYZ éditeur, 2007, 264 p.

ooo

Le 4e roman de Pierre Tourangeau est assez proche, dans le ton, de ses deux premiers (Larry Volt et La Dot de la Mère Missel, parus respectivement en 1998 et en 2000, chez XYZ). La Moitié d’étoile est en effet un objet difficile à classer, une entreprise éclatée dont le fil conducteur est la quête de Jérôme Letendre, auteur à succès imbu de lui-même et parano, qui ne peut supporter de ne récolter, roman après roman, que quatre étoiles et demie de la part de Gilbert Tracemot, LE critique littéraire en ville.

Ça donne une caricature du milieu littéraire (Letendre publie aux Éditions des Imbuvables!) entrecoupée d’errements amoureux et de fuite à travers le cosmos avec un être immortel énigmatique – la muse qui mènera Letendre vers la demi-étoile tant convoitée? Chaque chapitre renvoie d’ailleurs à une étoile ou une galaxie bien réelle, dont la description est donnée en exergue.

C’est, en alternance ou en cocktail, flyé, libre, touffu, burlesque, épicurien… Jouissif, quoi.

La Moitié d'étoile
La Moitié d’étoile
Pierre Tourangeau
XYZ