L’observation, l’engagement… : Des feux dans la nuit
L’observation, l’engagement… Chez les éditeurs québécois comme ailleurs en francophonie, l’automne se conjugue à un certain corps à corps avec le monde.
D’ICI
Si plusieurs ouvrages en prose placent les écrivains dans une position d’observateur privilégié, scrutant à la loupe les mécanismes de la société ou regardant attentivement mais à distance l’évolution d’un monde qu’on espérerait, disons, plus conséquent, d’autres auteurs choisissent de mettre en scène le narrateur au beau milieu de l’action. Mais d’une plume à l’autre, ce qui domine cette saison, c’est l’engagement sous toutes ses formes. Ou du moins la prise de conscience, l’éveil à d’autres réalités.
Avec L’Esprit vagabond (Boréal), André Major, qui délaisse la publication de fiction depuis quelque temps déjà pour écrire "dans la marge", nous fait cadeau de ses notes qui tiennent compte tant de l’agitation du monde que de la littérature et du métier (de l’identité) d’écrivain. Avec les nouvelles qui composent D’ailleurs (vlb), Gilles Jobidon présente lui aussi une vision du monde et du chemin qu’il se fraie dans l’intimité. Quant à l’auteur du Patient anglais, Michael Ondaatje, le titre de son dernier roman en traduction, Divisadero (Boréal), signifie justement "poste d’observation"… Et si Lise Tremblay propose, avec La Soeur de Judith (Boréal), un passage de l’enfance à l’adolescence avec pour toile de fond le Québec rural d’après la Révolution tranquille, d’autres, comme Camille Bouchard avec L’Agence Kavongo (Alire), où l’on voit les effets du commerce de la drogue dans les pays sous-développés, et Dany Leclair avec Le Sang des colombes, qui fait une incursion dans un monde d’indépendantistes extrémistes, nous invitent directement au coeur de l’action.
Virginia Pésémapéo Bordeleau, qui signe L’Ourse bleue (Pleine lune), nous invite, elle, à l’intérieur de la société crie, tandis que chez Pierre Gobeil, auteur de La Nuit des cages (Triptyque), c’est l’envers du décor des Îles-de-la-Madeleine auquel on a droit, avec un roman qui traite autant du moratoire sur les pêches que de la nappe phréatique…
Évidemment, signe des temps et mission du genre, l’essai se penche aussi sur le réchauffement de la planète, ses causes et ses améliorations possibles: Perdre le Nord? (Boréal) est constitué de propos de divers scientifiques recueillis par la journaliste Dominique Forget, les Chroniques nordiques (400 coups) de Nadia Plourde abordent aussi le sujet, tout comme Cul-de-sac, L’impasse de la voiture en milieu urbain (Héliotrope) de Christian Nadeau et Martin Blanchard, qui, tout en s’éloignant de l’Arctique, parle d’un sujet dont les effets et les enjeux se retrouvent, qu’on le veuille ou non, jusque dans le Passage du nord-ouest…
Aussi à surveiller, N’oublie pas l’été (XYZ), un récit de Bruno Roy, Léon, Coco et Mulligan (Boréal) de Christian Mistral, dont plusieurs lecteurs attendent impatiemment la sortie, idem pour le nouveau Sébastien Chabot (Ma mère est une marmotte): Le Chant des mouches (Alto). Élise Turcotte lancera quant à elle Pourquoi faire une maison avec ses morts (Leméac), Marie-Célie Agnant, Un alligator nommé Rosa (Remue-ménage), et Pierre Chatillon, son trentième livre: Il était une fois (XYZ). Avec Subordonnée (HMH) d’Isabelle Gaumont, on parle d’un féminisme actualisé, et Guylaine Massoutre, aussi critique littéraire, tisse une fiction biographique avec Renaissances, vivre avec Joyce, Aquin, Yourcenar (Fides).
Bien sûr, une rentrée n’en serait pas une sans quelques gros canons comme Michel Tremblay, qui présente dans La Traversée du continent (Leméac) un personnage inspiré de sa mère (l’auteur dresse, on le sait, de très beaux portraits de personnages féminins). Risquent aussi de faire couler beaucoup d’encre Marie Laberge, qui s’aventure cette fois dans les procédés du polar avec Sans rien ni personne (Boréal), Francine Ouellette et son Fleur de lys (Libre expression) et Stéphane Dompierre avec Mal élevé (Québec Amérique). (Stéphane Despatie)
D’AILLEURS
Hors Québec, la rentrée se décline évidemment sur tous les tons, mais on distingue une attention particulière portée à l’humanité, à la planète, à l’époque…
Avec Portrait de l’écrivain en animal domestique (Seuil), Lydie Salvayre propose une grande fable sur le libéralisme triomphant. On y verra un milliardaire engager une écrivaine pour écrire un livre à sa gloire… La Bâtarde d’Istanbul (Phébus), de l’écrivaine turque Elif Shafak, traite pour sa part de métissage des cultures et pose la grande question: que sait-on vraiment de ses origines? Ses origines, le personnage central de Je m’appelle François (Grasset), de Charles Dantzig, les invente et réinvente au fil de ses pérégrinations de voyou, de Paris à Los Angeles. Chez le même éditeur, on creuse également la question de l’identité à travers le Talk Talk de l’inspiré T.C. Boyle, dont le personnage se fait voler la sienne.
Karen Connelly a fait fort, paraît-il, avec La Cage aux lézards (Buchet-Chastel), l’histoire d’un jeune Birman incarcéré pour avoir "trop chanté", pendant que Jean Hatzfeld se penche de nouveau sur le génocide rwandais (et en l’occurrence sur ses lendemains) avec La Stratégie des antilopes (Seuil).
Des préoccupations sociales se faufilent dans Café (Seuil), de Michel Braudeau, qui retrace l’histoire de ce breuvage et de sa découverte par les Européens, des rites qui l’entourent mais aussi de certains enjeux bien actuels, ceux du commerce équitable…
Sinon et dans d’autres registres, voyons voir si François Bon a quelque chose de nouveau à nous apprendre sur Bob Dylan, dont il signe une biographie chez Albin Michel, et si le "word processor" Joyce Carol Oates, qui fait paraître Mère disparue (Philippe Rey), fera mieux avec celui-ci qu’avec son très décevant La Fille tatouée, l’année dernière.
On plonge? (Tristan Malavoy-Racine)
RENTRÉE BD / DU KETCHUP, DES OURS ET DE LA BIÈRE…
Les vignettes et les phylactères ne seront pas en reste cet automne dans nos pages, où l’on s’intéressera à toutes les déclinaisons du neuvième art: bande dessinée européenne, américaine, manga, manhwa… sans oublier la production locale de plus en plus riche. Impossible d’énumérer toutes les nouveautés qui commencent déjà à envahir nos librairies. Quelques incontournables toutefois:
Côté étranger, les inconditionnels de François Schuiten et Benoît Peeters seront doublement servis. La réédition complète (revue et enrichie) des Cités obscures débutera avec Les Murailles de Samaris (en librairie fin septembre) alors que paraîtra un tout nouvel opus de cette série consacrée à une architecture urbaine aussi délirante qu’élégante, La Théorie du grain de sable. Casterman annonce également la traduction d’un nouveau Jirô Taniguchi, La Montagne magique, dans laquelle le mangaka favori des Occidentaux tente une incursion dans le genre fantastique tout en rendant hommage à l’enfance (sortie en octobre). Chez Dargaud, on prévoit le second volume de Mékong de Bartoll et Coyère (Piège en forêt Moï) pendant que Delcourt inaugure, avec L’Homme qui rit, une nouvelle série de Morvan et Delestret, La Mer et la nuit.
Au Québec, la Pastèque promet rien de moins qu’un "automne rouge", l’éditeur montréalais réunissant pour la première fois en albums Les Aventures de Red Ketchup, mettant en scène le célèbre agent fou du FBI créé par Réal Godbout et Pierre Fournier. En plus de 12 mois sans intérêts de Catherine Lepage et de La plus jolie fin du monde de Zviane, Mécanique générale mise pour sa part sur Bears + Beer, premier volume d’une nouvelle revue mêlant planches, théorie et critique de bande dessinée réunies autour d’un thème commun (pour ce premier rendez-vous: les ours et la bière!). Aux éditions Fichtre, en novembre, le deuxième tome de La Muse récursive nous ramènera dans la bourgade canadienne de Camp Canyon où se poursuit une surréaliste histoire d’espionnage industriel signée David Turgeon… À suivre. (Éric Paquin)
RENTRÉE POÉSIE / VOL AU-DESSUS D’UN NID DE POÈTES
Marie-Hélène Montpetit. |
Chez Poètes de brousse, quatre titres: Mémoires et un sommeil de Nada Sattouf, Nos images d’aphasie de Philippe More, Ombres de Jean-Philippe Bergeron et un premier recueil de Geneviève Blais. Aux Forges en paraîtront pas moins de quinze, dont Après les mots de Nicole Brossard, Fleurs lascives de Jean-Paul Daoust et Oratorio Qué. de Marie Savard. Les Herbes rouges se concentrent sur L’Année de la mule de Benoît Jutras, Démolition de nuit de Julie Fauteux et L’Heure verte de Marilène Gill. Au Noroît, on propose des nouveautés de Jean-Yves Collette, Jean Royer, Corinne Larochelle, Gabriel-Pierre Ouellette, un premier recueil de Nathalie Landreville et En amont du Seigneur de Jean-Marc Fréchette.
Si Patrice Desbiens refera surface à L’Oie de cravan, Alexandre Faustino, lui, fera de même au Marchand de feuilles pendant que Christiane Frenette et Ivy (Ivan Bielenski), dont le livre-disque Slamérica nous intrigue, se retrouvent au Lézard amoureux. Chez Québec Amérique, on suivra L’OEil au calendrier de Gabriel Landry, alors que chez Triptyque, on lira Jérémie Leduc-Leblanc, Marie-Hélène Montpetit et Joël Des Rosiers. Aux Éditions Trois-Pistoles, un recueil de Pierre Demers est prévu, et à Mémoire d’encrier, un de Gary Klang.
À l’Hexagone, on attend les nouvelles voix Carol LeBel, Jean-Philippe Gagnon et Guillaume Lebel, et, cerise sur le gâteau, paraîtra en novembre La Poésie québécoise. Des origines à nos jours de Laurent Mailhot et Pierre Nepveu. Publiée d’abord en 1986, on attendait impatiemment une nouvelle version de l’anthologie qui fait maintenant 750 pages. Une quarantaine de poètes ont été ajoutés à la liste déjà longue du livre de référence. Quand on sait qu’une anthologie sérieuse ne retient qu’une partie d’un corpus, on comprend que la poésie québécoise est des plus dynamiques! (Stéphane Despatie)