Christian Mistral : Chaude était la nuit
Christian Mistral devrait faire un passage remarqué sur la scène littéraire avec Léon, Coco et Mulligan, un livre tendu comme un arc. Entretien avec un enfant terrible aujourd’hui plutôt bien dans ses baskets.
"J’aimerais assez que ça devienne LE roman du Carré Saint-Louis", me dit Christian Mistral en couvant des yeux son petit dernier. Moins sur le ton de l’ambition, faut-il préciser, que de l’attachement vrai qu’on peut éprouver pour un coin de sa ville; comme pour un pays, voire quelqu’un. Coin de ville, en l’occurrence, présenté ainsi dans Léon, Coco et Mulligan: "Si le centre-ville est l’organe génital de Montréal, par où la ville copule tristement et sans illusions avec le reste des civilisations, le Carré Saint-Louis se situe quelque part entre le sein et le nombril, comme un mamelon supplémentaire, et bien que la fontaine qui gicle tout l’été en son centre évoque une bitte de béton qui n’en finit plus de dégorger son amour."
Pas l’ombre d’un doute: Christian Mistral est bien de retour! Et son voeu pourrait se réaliser, tant ledit Carré ne sera plus jamais fréquenté de la même façon par celui qui a lu le livre, comme on ne peut plus passer par certaines rues du Plateau sans avoir Michel Tremblay à l’esprit, entrer à la Binerie Mont-Royal sans penser au Matou de Beauchemin ou, dans une autre ville, traverser Limoilou sans chantonner du Sylvain Lelièvre.
Plus qu’un décor, donc, le Carré Saint-Louis constitue le personnage central de ce chassé-croisé de rêveurs avinés, au milieu duquel l’émouvant tandem formé par Léon et Coco, ces philosophes de la nuit et de l’anonymat, patauge dans les petites combines, les projets d’écriture et le rêve d’une vie moins grise. "Un peu comme, dans les romans de Zola, un objet inanimé ou un lieu devient presque vivant", convient le romancier.
Précision: il d’agit du Carré du milieu des années 80, et si on retrouve déjà l’enfilade de mauvais restos à l’ouest, rue Prince-Arthur, le sympathique P’tit bar à l’est, rue Saint-Denis, le parc proprement dit n’est pas encore l’espace assagi que nous fréquentons aujourd’hui. Or sous la plume de Mistral, elle est toujours bien vivante, cette petite communauté de paumés attachants, aujourd’hui clairsemée, qui le peuplait alors. "Il faut dire que la première version du roman, je l’ai écrite alors que j’avais 19 ans, alors que je connaissais bien l’endroit. C’est étrange parce que la personne qui était moi à ce moment-là, je ne la reconnais plus. Ce que je pensais et ce que je faisais, à l’époque, sont précisément des choses que je ne pense plus et que je ne fais plus!" Ce qui n’a pas empêché l’écrivain de 42 ans de prendre la matière première des mains de cet autre qu’il a été, de lui donner une forme finale, sans laisser aucune impression qu’il s’agisse d’une oeuvre rapiécée.
QUESTION DE STYLE
Il fait bon retrouver l’écriture si précise de Mistral – plus précise que jamais, semble-t-il, plus économe en tout cas. Comme toujours, un certain lyrisme est au rendez-vous, une poésie même, mais l’ampoulé ou la fioriture n’ont leur place nulle part. "La brièveté, pour moi, c’est l’avenir du roman contemporain", avance même Christian Mistral, défendant l’attrait stylistique du concis, mais avançant aussi un argument inattendu: "Le bref a la cote pour des raisons aussi bêtes que celle-ci, par exemple: on ne met plus des romans longs aux programmes des cégeps ou des universités. Mon livre Vautour, qui compte à peu près 150 pages, y est constamment, alors que le fondement de mon travail, Vamp, n’y figure pas parce que trop volumineux; il représenterait trop de temps de lecture. C’est une bonne indication – on parle quand même d’étudiants en lettres – de la prédominance du bref de nos jours, pour des raisons bonnes ou moins bonnes." Concernant son plus récent titre, en tout cas, il n’y a pas d’inquiétude à avoir: si ce roman circule pendant longtemps, ce sera bien davantage pour la qualité de sa langue que porté par l’air du temps.
Quand Mistral parle écriture, métier, construction de phrases ou de personnages, il s’anime, un feu dans les yeux, sa passion du verbe intacte. D’écriture il est beaucoup question, d’ailleurs, dans Léon, Coco et Mulligan, des inquiétudes et frustrations liées à tout projet de création, des névroses qui guette parfois le créateur. "C’est intéressant, parce que le livre marque, à quelques mois près, le vingtième anniversaire de ma première publication [Vamp est paru en 1988]. Or, quand j’ai débuté cette histoire, je n’avais pas encore publié! Ça m’amène à revisiter certains questionnements, le doute devant l’oeuvre à faire."
Celui qui a touché à plusieurs genres, roman évidemment, mais aussi essai, poésie, chanson ("Soirs de scotch m’aide encore pas mal à payer mon loyer!"), ne semble pas en panne de projets, en tout cas – "Je travaille des textes à la deuxième personne du singulier, actuellement", confie-t-il.
N’employons pas le mot serein, qui ne rimera jamais avec Mistral, mais le créateur d’aujourd’hui est à tout le moins beaucoup plus calme qu’en d’autres périodes… "Je ne suis plus le wonder kid que j’ai été à 23 ans; je suis pris au sérieux, trop à mon goût parfois, mais à 42 ans, j’ai du fun à être moi. You know what I mean? Je ne sais pas ce que ce sera dans 20 ans, mais là, aujourd’hui, j’ai du fun à être moi…"
Léon, Coco et Mulligan
de Christian Mistral
Éd. du Boréal, 2007, 152 p.
LEON, COCO ET MULLIGAN
1984. Autour de la fontaine du Carré Saint-Louis gravite une petite faune de laissés-pour-compte, d’oiseaux de nuit et de poésie. Parmi eux, Léon, la trentaine, écrivain en herbe, et son protégé Coco, un vieux schizo qui a souvent les yeux dans le vague, mais qui connaît par coeur quantité de poèmes, dont ceux d’un certain Mulligan, qu’il récite à coeur de jour. En arrière-plan, Montréal fourmille au rythme de drames petits et moins petits, effervescente.
Léon, Coco et Mulligan, c’est en fait un manuscrit vieux de vingt ans, repris par Christian Mistral avec toute la science qui est aujourd’hui la sienne. Un roman court, nerveux et punché, qui agit comme un entonnoir, précipitant la tragédie, et qui réserve au lecteur une chute à tout casser.