David Gilmour : Un quart d'heure de trop
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David Gilmour : Un quart d’heure de trop

Le sixième livre du Torontois David Gilmour aborde la douloureuse expérience de la disparition d’un enfant du point de vue exclusif du père et de son étrange rédemption.

Animateur-vedette à la télévision, Roman partage sa vie avec M. et avec leur fils de six ans, Simon. Un soir, tandis que M. est partie en voyage d’affaires, Roman est pris de la subite envie d’aller consommer une bière au bar du coin de la rue. Lorsqu’il rentre à la maison (après une absence d’à peine 15 minutes, dira-t-il), son enfant a disparu. C’est le début d’une longue détresse existentielle, de la chute libre d’un personnage plus ou moins irresponsable qui se rendra compte qu’il a perdu son principal objet d’amour. Malgré les recherches policières et la collaboration des médias, Roman ne supportera pas de rester inactif: il mènera sa propre enquête, parcourant la ville de fond en comble, plus particulièrement la nuit, quête stérile qui aura pour conséquence l’écroulement du reste de son univers.

Pour aborder cette intrigue, cauchemar de tout parent, David Gilmour est loin d’emprunter une approche psychologisante. C’est un traitement plutôt onirique, presque poétique, que propose l’écrivain dans Une nuit rêvée pour aller en Chine, construisant un héros qui ressemble par ailleurs à ceux que l’on trouve dans ses précédents romans (tous des fêtards de première). Mais contrairement à ces derniers, qui sortaient toujours indemnes de leurs frasques, Roman se voit puni pour son erreur. Quitté par sa compagne avant de voir son employeur mettre fin à son contrat, suivi par les policiers qui le considèrent comme un suspect dans la disparition de son fils, Roman trouvera deux exutoires à son malheur: un flacon de morphine volé chez des étrangers et les rêves qu’il entretient du petit Simon qui lui répète qu’il va bien et qu’il va bientôt rentrer.

Prix du Gouverneur général pour le meilleur roman de langue anglaise en 2005, cette quête hallucinée d’un père qui tente de survivre à la perte de son enfant offre un propos original sur le pouvoir du rêve qui, curieusement, permet au personnage de développer une nouvelle lucidité. Car c’est le drame vécu par Roman qui le rattachera à son humanité perdue. L’existence impersonnelle qu’il a menée jusque-là dans les hôtels, les restaurants et les taxis de la Ville-Reine, sa carrière vide de sens à la télévision, tout lui apparaîtra aussi clairement que cette satisfaction qu’il peut lire dorénavant dans les yeux de ses interlocuteurs compatissants, celle de savoir que l’épreuve qu’il traverse ne leur est pas arrivée.

Sous la plume de Gilmour (lui-même père de trois enfants, critique et animateur à la CBC), le roman dénonce également l’inconstance de ces médias qui, après avoir couvert le drame de la famille, s’intéressent rapidement à un autre enfant disparu, "nouveau chouchou" que Roman ne peut s’empêcher de considérer comme un dangereux "concurrent". Celui qui a longtemps régné sur les ondes troquera ainsi son ancienne vénération pour le vide médiatique contre de nouvelles certitudes, convaincu que si lui et son fils s’endorment ensemble dans l’un de ses rêves, ils se réveilleront également ensemble dans la réalité… Le dénouement laissé volontairement ouvert et n’offrant aucune explication à la disparition du garçon est à la mesure de ce livre à la fois beau et désespérant.

Une nuit rêvée pour aller en Chine
de David Gilmour
Trad. par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Éd. Leméac/Actes Sud, 2007, 148 p.

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