Knud Romer : Dommages collatéraux
Le Danois Knud Romer signe un truculent portrait de sa famille, marquée au fer par la Deuxième Guerre mondiale et ses échos souterrains. Coup d’oeil sur un livre-événement.
Il y a beaucoup de choses tristes dans Cochon d’Allemand. Chacun des membres de la famille du petit Knud, qui nous apparaissent dans une chronologie en spirale étonnante (on présente à tour de rôle plusieurs personnages, à une époque donnée, pour revenir à eux plus loin, selon le même procédé), connaît son lourd lot de malheurs. Il y a cette grand-mère maternelle "déchiquetée" par une explosion, ce grand-père paternel dont toutes les entreprises semblent promises à la banqueroute, ce père ultra-organisé, prudent, qui, lui, a le don de faire progresser sa carrière vers les plus hautes responsabilités, mais le don aussi de faire le vide autour de lui. Et cette mère, ballottée violemment par la vie, Allemande mariée à un Danois et qui sera toujours associée, dans son pays d’accueil, le Danemark, à l’idéologie nazie.
En sourdine, toujours, la guerre, pendant et après, qui éparpille les proches, qui emporte tel ou tel, qui balafre les perspectives d’avenir. Et au centre de ce petit monde brisé, le petit Knud, dont les origines allemandes lui collent aussi à la peau, comme une sombre étiquette. "Pendant toute la journée, j’avais été le Cochon d’Allemand, obligé de me cacher pendant la récréation, car tout – mon casse-croûte, mon vélo, ma tenue – servait de prétexte pour rire […]"
Beaucoup de tristesse, donc, dans ce roman, mais aussi tous ces rires francs qu’on ne peut réprimer au fil de la lecture, Knud Romer insufflant à cette plongée autobiographique une fantaisie exquise, une manière de prolonger la réalité dans les rêveries d’un gamin et une propension pour le portrait au vitriol. "Tante Gustschen portait un chignon dans une résille, des robes noires boutonnées jusqu’au menton, elle n’avait jamais été jeune. […] Elle étouffait en germe la moindre joie, anéantissait le moindre plaisir: il était vulgaire de bien s’habiller, malséant de sourire, et le rire était Satan en personne, qui incrustait des grimaces dans la peau du visage."
Paru l’an dernier aux éditions Athene, au Danemark, Cochon d’Allemand a connu un succès public immédiat et raflé une ribambelle de prix, dont le Danish Booksellers’ Golden Laurels, propulsant son auteur, un publicitaire surdoué, au rang des plumes contemporaines qui comptent. La traduction française proposée depuis quelques jours par l’éditeur montréalais Les Allusifs, réalisée de main de maître par Elena Balzamo, vient d’ailleurs d’être incluse dans la première liste du prestigieux prix Médicis étranger. Un début de carrière francophone inespéré pour ce roman qui fait rire beaucoup et réfléchir encore plus.
Cochon d’Allemand
de Knud Romer
Éd. Les Allusifs, 2007, 192 p.
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