Maya Ombasic : Destins croisés
Livres

Maya Ombasic : Destins croisés

Maya Ombasic rend hommage à cette vibrante culture cubaine qui lui a permis de renouer avec son passé.

Dès la première de ces ravissantes et poétiques Chroniques du lézard, le ton est donné, mais surtout un certain propos, articulé notamment autour des questions de l’immigration, des chocs culturels et de la quête des origines. Un propos qui demeure fortement lié à l’expérience de la jeune écrivaine dont il s’agit ici du premier livre. Née et ayant grandi à Mostar, en ex-Yougoslavie, Maya Ombasic a elle-même connu les chemins de l’exil, ayant immigré en Suisse durant la guerre des Balkans, puis au Québec où elle a entrepris ses études universitaires. Mais c’est lors d’un voyage à Cuba qu’elle a la surprise de voir ressurgir avec force ses souvenirs d’enfance. Dans cette contrée également communiste où l’océan omniprésent lui rappelle la côte Adriatique, Maya Ombasic renoue avec une société dotée d’un fort esprit communautaire et où les êtres humains vivent dans une grande proximité.

Dans son oeuvre, Cuba deviendra ainsi le lieu d’une conquête ou plutôt d’une reconquête de soi, d’une identité enfouie qui ne demande qu’à renaître mais qui se voit souvent confrontée aux aspirations des autres. Dans "Habana Blues", première des sept nouvelles composant le recueil, on suivra par exemple le parcours de Yordanka, élevée à Montréal par une mère adoptive et qui se rend à La Havane pour visiter sa famille biologique. Durant son court séjour cubain, la jeune fille est constamment habitée par la "crainte de ne plus être aux yeux des autres ce qu’elle aurait souhaité demeurer" et elle ne saura que faire de la demande de sa demi-soeur qui aimerait qu’elle lui trouve un mari dans son nouveau pays, seule façon pour elle de quitter l’île.

Aux visiteurs désirant reprendre contact avec eux-mêmes au pays de Castro s’opposent donc parfois les locaux ayant soif d’une liberté plus terre-à-terre et pour lesquels un mariage avec l’étranger semble une formule moins périlleuse qu’un radeau de fortune voguant vers la Floride. Dans "L’Apothéose d’une orchidée", un Québécois qu’une Cubaine a épousé pour son passeport se souvient ainsi de la semaine passée avec celle-ci dans un chalet sous la neige avant qu’elle ne le quitte pour toujours. "Avec sa disparition s’est confirmée mon impuissance à trouver ma place dans le monde", conclut celui qui craint de passer pour "un pauvre touriste à la recherche de sensations fortes" et que l’expérience a laissé sans espoir d’aimer à nouveau.

Qu’ils soient sédentaires, nomades, touristes ou exilés, certains personnages de Maya Ombasic sont dotés d’une capacité d’adaptation et d’une compréhension hors du commun envers ceux qu’ils croisent sur leur chemin. C’est aussi que, contrairement aux biens matériels qui y font souvent défaut, la dimension spirituelle n’est jamais absente de ce Cuba marqué par l’esclavage et par la Révolution, et où métissage ethnique rime avec syncrétisme religieux. Pour ceux dont le Cuba littéraire se limite au réalisme magique d’un José Lezama Lima et au "réalisme sale" d’un Pedro Juan Gutiérrez, Ombasic offre une troisième perspective faisant la part belle au regard étranger, non pas de celui qui accumule les "tout compris" de l’île, mais de celui qui la parcourt avec le désir de se fondre et de se confronter à la réalité de l’autre…

Chroniques du lézard
de Maya Ombasic
Marchand de feuilles, 2007, 109 p.

À lire si vous aimez
Le Néant quotidien de Zoé Valdés
Le Roi de La Havane de Pedro Juan Gutiérrez