Nelly Arcan : Le corps en orbite
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Nelly Arcan : Le corps en orbite

Célébrée depuis son premier livre, Nelly Arcan revient avec À ciel ouvert, un troisième roman dont l’écriture s’avère encore plus maîtrisée.

Bien qu’on ne s’entende pas tous sur ce qu’est une belle écriture, d’entrée de jeu, on comprend que Nelly Arcan ne prend pas ses lecteurs pour des cons et s’aventure dans des phrases audacieuses qui atteignent leur but: celui de combiner l’émotion, le sens et l’esthétique. Les deux dernières qualités dominant le livre entier, bien que l’émotion ne soit pas en reste, surtout au niveau de l’histoire mettant en scène deux jeunes femmes amoureuses d’un même homme. Or le sens et l’esthétique ont ici un pouvoir beaucoup plus fort que l’émotion sur la forme.

Je parle de la forme car, avant de parler d’une histoire, d’un récit, c’est bien une écriture que nous lisons en suivant le parcours de Nelly Arcan. Une écriture et des idées. Une conception du monde, d’un univers. Et cet univers, aussi lassant et superficiel qu’il puisse être, elle sait le raconter. Le récit que l’on suit se résumerait en bien peu de mots: deux jeunes femmes urbaines totalement "refaites", respectivement styliste de mode et scénariste, cherchent un sens à la vie en tentant de s’arracher l’exclusivité et l’attention d’un jeune photographe. En toile de fond, qui parfois occupe le devant de la scène: le Plateau Mont-Royal avec ses établissements et sa clientèle.

J’en vois déjà se décourager face au côté branché de l’objet: vous auriez tort. Plus qu’une énumération de lieux d’où certains se sentiraient exclus, le roman nous invite à pénétrer dans un microcosme. Un microcosme aussi exclusif que malsain, un univers totalement géré par la pornographie. Le roman puise autant dans cet univers qu’il en fait le procès. Par les différents destins des personnages, c’est à l’échec, du moins au déclin de cette manière de vivre que nous assistons. Sans aucune forme de morale ou de leçon de la part de la narratrice, les acteurs du récit s’avancent dans la vie avec les moyens qu’ils ont. Ils aiment, baisent, construisent et se construisent avec ces outils. Leurs passés, leurs enfances et leurs blessures, autant que leurs carrières, tout, absolument tout fait en sorte qu’ils ont beaucoup de mal à se réaliser comme êtres humains capables d’aimer et de recevoir de manière simple. Jamais on ne laisse entendre que ce groupe de jeunes branchés forme une élite. Ce ne sont pas eux qui rythment le coeur de la ville ou du monde, mais comme tous les groupes d’individus, ils font aussi partie de ce coeur. Ce sont eux que l’on scrute ici, eux dont on analyse l’échec.

Au-delà du sujet, qui rappelle entre autres les romans de Bret Easton Ellis et dont on pourrait débattre longuement, le roman possède des qualités formelles indéniables. Les phrases longues dont on croit parfois perdre la trace sont au rendez-vous mais elles retombent toujours sur leurs pattes. Le rythme est constant, le regard clinique sur certaines réalités, toujours aiguisé. Et même lorsque Arcan écrit dans la blessure, jamais elle ne cède à la sensiblerie ou au pathos. Jamais d’emportement stylistique ou d’emphase malhabile lorsque ses sujets, tous obsédés et tous intelligents malgré leurs travers, se retrouvent tiraillés par la jalousie, la douleur ou le désir. Saluons également le souffle de l’auteure qui parvient à maintenir son lecteur en haleine, encore plus qu’avec Putain (2001) et Folle (2004) qui contenaient moins de relief, et ce, à partir de personnages qui, de prime abord, semblent complètement superficiels.

À ciel ouvert
de Nelly Arcan
Éd. du Seuil, 2007, 272 p.

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À ciel ouvert
À ciel ouvert
Nelly Arcan
Du Seuil