Stéphane Dompierre : La réalité en face

Stéphane Dompierre fait un petit pas de plus. Bienvenue dans l’univers d’Alex, l’un des trentenaires dont nous avions suivi les pérégrinations existentielles et amoureuses à travers Un petit pas pour l’homme. Alex, aujourd’hui âgé de 32 ans, musicien doué mais intransigeant, poireaute depuis des lustres dans l’antichambre du showbiz. "Le thème que je voulais aborder au départ, nous dit l’auteur, c’est celui du compromis. Assez vite, il m’est apparu que le milieu du disque était le contexte idéal pour explorer cette thématique."

À ce titre, Mal élevé se nourrit beaucoup de sa propre expérience, Stéphane Dompierre ayant lui-même, il y a quelques années, promené ses maquettes d’une maison de disque à l’autre. "Pour moi, c’est intéressant, parce que tout ça me sert aujourd’hui, toutes ces déceptions vécues. Aujourd’hui ça va bien, je suis très conscient de la chance que j’ai eue de devenir aussi rapidement un écrivain qu’on lit, mais j’ai connu ces longues périodes de doute que vivent la plupart des artistes, et je ne les ai pas oubliées."

ÉTOILES FILANTES

L’exploration de cette thématique touche inévitablement le phénomène Star Académie et ses dérivés. Stéphane Dompierre en profite évidemment pour décocher quelques flèches, pour tourner en bourrique certains candidats particulièrement naïfs, mais l’essentiel du propos est ailleurs. "Quand j’aborde le sujet, ce n’est pas tant pour juger ceux qui passent par là que pour illustrer à quel point il est plus difficile, quand on ne veut pas faire de compromis artistiques, de vivre de son art."

Entre les lignes, Mal élevé porte aussi une réflexion sur la capacité de révolte d’une génération. "Il y a quelque chose d’inquiétant, je trouve, à voir des jeunes dans la vingtaine débarquer aux auditions des shows de téléréalité et dire que leurs idoles sont Ginette Reno, ou Patrick Norman… Non seulement le rock’n roll n’existe pratiquement plus, mais c’est rendu que la vingtaine écoute du Patrick Norman!"

Chez Alex, l’indépendance d’esprit et la capacité de révolte sont intacts; il n’est pas homme à mettre beaucoup d’eau dans son vin. Jusqu’à ce que la réalité le rattrape, que le succès se fasse plus hypothétique que jamais et que son impresario demande avec de plus en plus d’insistance la monnaie de sa pièce. Alex aura des choix à faire, alors qu’on propose à son groupe d’effectuer un virage pop… "Il sait très bien quelle est la prochaine étape, il sait ce qu’il doit faire pour assurer un avenir à son band, mais le band en question refuse aussi tout compromis et Alex se perd complètement dans son hésitation."

LIBERTE CONDITIONNELLE

Je m’empresse de rassurer ceux qui douteraient de retrouver dans le deuxième Dompierre l’un des éléments fondamentaux du premier: oui, Mal élevé est aussi un roman de cul, d’amours éparpillées, de scènes de vie de couple qui déclenchent bien des rires jaunes. "La sexualité, en fait, est le moteur du récit", affirme le principal intéressé. On pourrait même dire que le sexe installe une tension d’un bout à l’autre de l’histoire, menant tout ce petit monde et mettant en relief les moments de grâce où l’amour n’est pas que physique.

La relation qu’entretient Alex avec Sandrine, sur ce plan, a ceci de particulier qu’elle exige de lui infiniment plus qu’il n’a jamais donné. Prélude au compromis, ici encore, dans une histoire belle, mais dont on devine tôt qu’elle avance vers la tempête. Sans en dire trop, citons tout de même l’auteur sur le sujet: "Au départ, j’ai voulu qu’il y ait un happy end, mais je me suis vite rendu compte que mon personnage ne voulait pas aller dans cette direction", se souvient Dompierre. "On ne le dira jamais assez: il y a un point où nos personnages décident vraiment à notre place!"

Les choses ne tourneront jamais comme il le souhaite pour Alex, donc, ni du côté professionnel ni du côté du coeur, mais on comprend que sa liberté passe par certains renoncements. "La quête principale échoue peut-être, conclut Stéphane Dompierre, mais autour, il y a une série de petites victoires. Plus j’avance dans la vie, plus je m’intéresse à ces petites victoires…"

Mal élevé
de Stéphane Dompierre
Éd. Québec Amérique, 2007, 200 p.

À lire si vous aimez /
Un petit pas pour l’homme du même auteur, Le Principe du geyser de Stéphane Bourguignon

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MAL ELEVE

Avec Un petit pas pour l’homme, publié en 2004, Stéphane Dompierre faisait une entrée pour le moins remarquée sur la scène littéraire. Couronné du Prix littéraire Archambault en 2005, écoulé à plus de 28 000 exemplaires (oui, oui, n’ajustez pas votre monocle), ce roman faisait connaître un jeune auteur qui, à défaut de réinventer la roue, a la plume vive et l’imagination fertile.

Revoici Alex, un personnage secondaire du premier roman, musicien oublié par la gloire, et Sandrine, dont il tombe amoureux fou et qui deviendra la chanteuse de son groupe. Autour, les copains musiciens, vaccinés contre la pop facile et qui avancent tête baissée dans une existence chaque jour plus complexe. En parallèle, et c’est l’un des aspects les plus intéressants du projet, Dompierre décrit la relation difficile qu’entretient – ou plutôt n’entretient pas – Alex avec sa famille, cette famille qui lui semble incarner tout ce qu’il ne veut pas devenir.

Nul doute que Mal élevé trouvera son lecteur: le roman est à la fois drôle et grinçant, bien mené (malgré une ou deux invraisemblances); sa structure, partagée entre le récit principal et des plongées toujours plus loin dans le passé, présente une efficacité cinématographique indéniable (pas étonnant qu’une adaptation pour le grand écran soit dans l’air). Plusieurs passages n’en laissent pas moins une forte impression de déjà lu, et on ne peut s’empêcher d’espérer que Stéphane Dompierre, avec le talent bien réel qui est le sien, développe un de ces jours l’ambition de marcher franchement hors des sentiers battus.