Réal Godbout et Pierre Fournier : Alerte rouge
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Réal Godbout et Pierre Fournier : Alerte rouge

Après la réédition complète des Aventures de Michel Risque, Réal Godbout et Pierre Fournier assistent à la renaissance de Red Ketchup, une bande dessinée vinaigrée ayant fait les belles années du magazine Croc.

De Red Ketchup, les lecteurs de Croc ont généralement gardé le souvenir d’une oeuvre outrancière, décadente et empreinte de violence. Enseignant aujourd’hui son art à l’Université du Québec à Hull, le dessinateur Réal Godbout s’en étonne: "Les gens ont conservé l’image d’une bande dessinée où il y a beaucoup de sexe et de violence, mais cette violence est souvent cachée. Dans la scène où Red Ketchup ressort d’une salle d’interrogatoire avec un de ses bras rouge, on comprend qu’il a torturé le prisonnier à mains nues, mais on ne l’a pas vu faire…" "Ce ne sont pas les aventures d’un gars violent, précise le scénariste Pierre Fournier, c’est une satire de ça, un commentaire sur les Schwarzenegger de ce monde."

Attablés au café Cherrier, les deux compères continuent d’ailleurs de rire de certains de leurs gags (simples mais terriblement efficaces) élaborés il y a près de trente ans: "Chaque fois que Red Ketchup va à l’hôtel, par exemple, on retrouve sa chambre dévastée le lendemain. On ne sait pas exactement ce qu’il a fait durant la nuit, on ne voit que le résultat. Au lecteur d’imaginer le reste…"

Ce qui surprend aujourd’hui, à la lecture du premier album, en plus de l’extrême modernité du trait (cette "ligne claire foncée, un peu funky", dira Godbout), c’est à quel point l’histoire demeure ancrée dans le contexte sociopolitique de son temps: l’ère Reagan et la guerre froide. "On a renoncé à changer l’époque de l’action, au contraire d’Hergé qui, au fil des rééditions, modernisait les autos, par exemple", dit Godbout. "Aujourd’hui le personnage aurait son cellulaire et resterait au volant pour téléphoner, continue Fournier. Mais il ne fallait pas actualiser cette histoire trop inscrite dans son cadre historique." Si elle était à refaire, toutefois, les grandes lignes de la série seraient les mêmes: "À l’époque c’était le communisme, aujourd’hui ce serait le terrorisme. Red était vétéran du Viêtnam, il serait vétéran de la guerre du Golfe, avec la même obsession pour la sécurité, pour la défense de l’Amérique."

L’oeuvre, qui a vu le jour dans un contexte pré-rectitude politique, dégage par ailleurs une étonnante impression de fraîcheur. On y retrouve ce personnage véreux de Juif américain, Archie Siegel, qui vend des armes aux Palestiniens: une situation que peu d’auteurs oseraient seulement imaginer aujourd’hui, par peur d’être taxés d’antisémitisme… Réal Godbout nuance: "C’est une BD irrévérencieuse, mais qui comporte un aspect critique sur l’exploitation, le racisme, le sexisme. Malgré ses outrances, elle porte aussi un message politique."

Quelque chose comme le "second degré" de l’oeuvre, donc, mais qui n’est pas donné à lire à tout le monde. Fournier mentionne des projets d’adaptation de leur bande dessinée (au cinéma notamment) qui n’ont pas abouti pour cette raison: "Nous avons été approchés, par exemple, pour la réalisation d’un jeu vidéo inspiré de Red Ketchup, mais les gens n’avaient pas saisi le côté satirique de la bande dessinée. Ils voulaient faire quelque chose d’essentiellement violent." Fournier s’amuse ainsi à révéler que son ami Réal "a toujours peur qu’un Hells Angel l’accoste un jour pour lui dire que Red Ketchup est cool"…

VIDER LE TIROIR

Aborder la carrière de Pierre Fournier et Réal Godbout, c’est aussi parler de l’évolution du neuvième art québécois et de son contexte éditorial. Deux mondes séparent l’actuelle édition (fort soignée) des oeuvres complètes à la Pastèque et la publication en feuilletons des années 1980 qui obligeait les deux bédéistes à fournir quatre planches mensuelles, bon an mal an. "Ce mode de publication qui n’existe pratiquement plus, c’est pourtant ce qui a rendu possible le style particulier de nos séries", assure Godbout. "Il n’y a rien comme être publié chaque mois, ajoute son collègue. On était obligés d’apprendre vite. Dans Michel Risque, on improvisait épouvantablement, on privilégiait le gag qui devait terminer chaque épisode. Puis, avec Red Ketchup, des gags sautaient dans le feuilleton parce qu’on pensait davantage à l’unité du futur album. On privilégiait alors le récit."

L’une des marques de Red Ketchup reste toutefois son action incessante, ce rythme endiablé qui ne donne aucun répit au lecteur. À ce sujet, Fournier donne l’exemple d’une poursuite en auto: "La tradition veut que ça dure plusieurs cases avec toutes les étapes de l’action. Réal, lui, voulait le faire en une ou deux cases seulement, pour arriver plus vite au résultat. Tandis que d’autres ménagent et étendent une action sur tout un album, nous, on s’est rendu compte qu’il fallait vider le tiroir rapidement pour qu’il se remplisse. Si tu n’épuises pas une idée, l’idée suivante mettra plus de temps à arriver."

Réal Godbout, qui travaille actuellement sur un roman graphique adapté de L’Amérique de Kafka, avoue en effet être peu attiré par l’approche contemplative en BD: "Je ne suis pas fou des bandes dessinées où l’on voit pousser un arbre pendant quatre pages. Aujourd’hui encore, j’ai de la difficulté à faire une case silencieuse. Je me dis toujours que si je mets le texte tout de suite, ça fera avancer l’histoire plus vite."

La Vie en rouge (Red Ketchup, tome 1)
de Réal Godbout et Pierre Fournier
Éd. La Pastèque, 2007, 46 p.

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La Vie en rouge

Tandis que Michel Risque est une sorte de caméléon dont le costume s’adapte à chaque situation, Red Ketchup a ce look immuable (et impeccable) qui le distingue entre tous: complet bleu poudre (à la Jack Lord), cheveux roux coupés en brosse, teint blafard et lunettes noires pour protéger ses yeux d’albinos. Premier volume de ses aventures (sur huit prévus), La Vie en rouge relate les origines du personnage. Remarqué pour son "zèle" pendant la guerre du Viêtnam, Red est recruté par le FBI et devient cocaïnomane durant une mission visant à démanteler un réseau d’importation de drogue. Dès lors, ses initiatives douteuses et sanglantes en feront la bête noire du service et mettront son supérieur sur la corde raide. Avec raison: agent dangereux et dysfonctionnel, Red Ketchup est parfaitement capable de saboter une campagne présidentielle et de mettre le feu aux poudres au Proche-Orient, et ce, dans le même album!

La Vie en rouge
La Vie en rouge
Réal Godbout et Pierre Fournier
La Pastèque