Thierry Dimanche : Théâtre de l’éphémère
Thierry Dimanche présente un théâtre où la parole se veut conflit, où l’écriture traditionnelle laisse place à toutes les transgressions.
Thierry Bissonnette (Dimanche) occupe une place de plus en plus importante au sein de la scène littéraire québécoise. Après la publication de quatre titres en cinq ans, où l’éclectisme et l’incongru, voire l’inconsistance, priment souvent sur la matière poétique, celui qui fut un temps critique de poésie au journal Le Devoir et qui oeuvre dorénavant dans le même sens à Spirale tout en ayant fondé une maison d’édition, Le Lézard amoureux, poursuit donc, dans D’où que la parole théâtre, troisième volet de Mes encycliques désaxées, "série qui n’est pas forcément une trilogie", un travail de rupture qui, à l’encontre de la rupture même, malgré sa fougue admirable, ne réussit pas à prendre pied, à s’imposer comme une proposition juste.
LA TENTATION DU NÉANT
Il n’y a pas de réalité en poésie. Les réalités s’y trouvent croisées, plurielles, affirmées du seul désir de recherche de la poésie elle-même puisque, comme l’affirme Octavio Paz, "dès l’aube ce qui naît cherche son nom". À partir de là, sans doute, et soulignons-le, l’entreprise à l’étude ne manque pas de courage, malgré tout; proposer au lecteur une poésie de l’éclatement apparentée, du point de vue d’une certaine modernité littéraire, aux recherches matérielles des années 1970 (je pense ici beaucoup plus aux propositions issues d’Orange Export Ltd. qu’aux expérimentations formalistes des Herbes rouges et de la NBJ), une poésie de l’obstacle et de l’intervention plastique; oui sans doute, dis-je, cela tient d’un grand respect pour la matérialité poétique, mais peu pour le poème, et malheureusement, le projet ici tourne prestement à vide.
"galoper par / les cheveux / de la terre / délivre des / locomotions / quand la voix disperse ses cordes / à nos trousses" (p. 28). J’ose donc affirmer que la poésie est ailleurs, qu’elle a depuis près de 25 ans davantage évolué, plus loin, qu’elle a retrouvé une certaine linéarité, qu’elle aura délaissé son illisibilité matérielle pour amener, du côté de la syntaxe, un éclatement jusque-là précisé que dans la forme du poème pour ainsi croître en rythme et en force dans un cadre où l’écriture trouve réellement son espace et sa respiration, par un retour au classique. Et parce qu’Orange Export Ltd. rejoignait en tous points la démarche de 40 ans plus vieille des objectivistes américains (l’objectiviste, disait Louis Zukofsky, est "un artisan qui met les mots ensemble pour en fait un objet"), je considère que la paternité, que l’héritage est ici suffisamment ancré pour éviter le simple hommage-collage sans digne transformation.
L’OUBLI DU MODERNE
"Propriétaire d’un masque de truite / il fit l’amour à une vampire / avec un singe sur son genou" (p. 49). Avec D’où que la parole théâtre, "Thierry Dimanche nous ouvre encore une fois un univers dans lequel la poésie et l’écriture traditionnelle n’ont pas de place", écrit l’éditeur dans le communiqué.C’est un peu fort affirmé alors que toute une section du livre se trouve être un hommage-pastiche composé à partir de L’homme approximatif de Tristan Tzara (Rotations pour Tzara), une oeuvre qui se souciait moins du "moderne" que du "devenir" pour la simple raison que les passions de l’homme sont demeurées indemnes depuis la nuit des temps. L’homme approximatif s’est imposé par sa qualité intrinsèque et originelle d’avoir su parler à l’homme, avant tout concept. Espérons pour l’avenir voir Dimanche ailleurs, vraiment, en d’autres propositions, nous parler cette fois sans trop de formalités.
D’où que la parole théâtre
de Thierry Dimanche
Éd. de L’Hexagone, 2007, 80 p.