Amélie Nothomb : Littérature comparée
Amélie Nothomb plonge de nouveau dans cette culture nippone indissociable de son identité, et qui a toujours fourni la plus belle matière à une oeuvre galopante.
Je me suis attiré des commentaires parfois cinglants, ces dernières années, en écorchant les plus récents titres d’Amélie Nothomb. Il faut dire que son écriture un peu maniérée, et plus encore cette coquetterie parfaitement vaine qui la pousse à se commettre à chaque rentrée, année après année depuis 1992, m’empêche d’accorder beaucoup de sérieux à l’oeuvre très "marketée" d’une auteure dont je reconnais, au demeurant, toute l’intelligence, la sensibilité aux autres cultures et le sens du flash initial.
Ni d’Ève ni d’Adam est davantage né de ce qui plaît que de ce qui déplaît chez la romancière. En ancrant l’histoire dans son passé nippon, comme elle l’avait fait en outre dans le réussi Stupeur et Tremblements (1999), celle qui est née au Japon – son père y était ambassadeur de Belgique – nous touche mieux qu’avec des fictions telles qu’Acide sulfurique (2005) ou Journal d’Hirondelle (2006), comme si le fait de partir de sa propre expérience assurait une consistance et un souffle à ses histoires, toujours bien bâties mais qui souffrent souvent d’une psychologie famélique.
Nous voilà au Japon, donc en 1989. La narratrice, de retour depuis quelques jours dans le pays de sa prime jeunesse, y donne des leçons de français. L’un de ses élèves, Rinri, deviendra vite beaucoup plus qu’un élève à ses yeux. Charmant, attentionné comme quatre et surtout amoureux d’elle, il va devenir un formidable vecteur dans sa découverte de la société japonaise et de ses étonnantes coutumes.
Roman d’amour, Ni d’Ève ni d’Adam fait pourtant moins de place, et c’est manifestement voulu, à ce Rinri trop lisse, trop poli, qu’au pays du soleil levant lui-même, avec ses curiosités gastronomiques (ces poulpes et poissons que l’on mange vivants, par exemple), ses innombrables règles de courtoisie et, plus généralement, l’étrange amalgame qu’y font culture millénaire et impératifs de la modernité.
On n’échappe pas à quelques facilités, bien sûr (Héraclite se retournerait dans sa tombe à l’écoute de ce "j’apaiserai ta soif, mais que sais-je de ce que sera le cours de mon fleuve, tu ne te baigneras jamais deux fois dans la même fiancée"), mais il y a aussi de très beaux passages, celui par exemple où la narratrice gravit en solo le mont Kumotori Yama et se fait surprendre par une tempête de neige, voyant sa balade se transformer en un pur cauchemar dont le récit est beau à pleurer.
Autre temps fort, qui préfigure ce qui guette Amélie et son Rinri: le moment où la narratrice apprend la distinction entre koi et ai, le premier terme signifiant "avoir du goût pour" et le second, "s’éprendre de". Dans le cas de Rinri, koi était plus à propos…
Ni d’Ève ni d’Adam
d’Amélie Nothomb
Éd. Albin Michel, 2007, 252 p.
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