Christiane Frenette : Politique intérieure
Christiane Frenette propose une poésie très ancrée dans la réalité, dont le point de départ est ni plus ni moins Le Téléjournal de 22 h, fenêtre sur un monde fissuré.
Désincarnée, la poésie? Parfois, oui, c’est vrai. Peut-être même souvent. Or c’est bien la dernière chose que l’on pourrait reprocher à Territoires occupés, le plus récent titre de la poète et prosatrice Christiane Frenette.
En demeurant presque toujours, au fil des huit longs poèmes qui composent le recueil, dans une position d’auditrice du journal télévisé, l’auteure s’immisce tour à tour dans les drames des autres. Celui, terrible pour chacun de ses acteurs, de Marie Trintignant et Bertrand Cantat (elle va poser l’oeil de la caméra sur elle, puis sur lui, exposant sans juger toute la douleur surgie un soir à Vilnius); celui, aussi, d’une mère emprisonnée pour avoir tué son enfant par négligence. Ailleurs, on entend un mort s’en prendre à son bourreau, Radovan Karadzic, grand criminel politique dont on sait qu’il s’adonne à l’écriture poétique. "Un jour je t’emporterai avec moi / dans mon trou. / Nous sommes si nombreux / à t’attendre. / Le soir à la chandelle, / nous lisons tes poèmes / pour nourrir notre haine."
Le registre est bien celui du poème, avec ses images fortes et ses ellipses, mais le ton est souvent narratif, Christiane Frenette exploitant pas à pas ses sujets, orchestrant chaque fois une montée dramatique d’une grande efficacité. Peu à peu, on assiste à la profonde résonance des maux du monde dans la sphère de l’intime.
S’il fallait dégager une thématique embrassant l’ensemble, on pourrait parler de l’enfermement. Chez les sujets précédemment cités, le lien est évident, et il l’est à peine moins dans le cas de cette femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui mesure combien sont nombreux les endroits où sa mémoire "ne va plus", et même, à un autre degré, chez la spectatrice de ces bulletins, elle aussi enfermée dans son mirador, incapable qu’elle est d’influer sur le cours des événements, malgré son indignation vraie et sa compassion. "Je continuerai / à me lover, / à me blottir / au creux de mon fauteuil / à vous regarder mourir, / à vous entendre gémir / du fond de votre enfer."
C’est triste et beau tout ça, et c’est indéniablement du grand art.
Territoires occupés
de Christiane Frenette
Éd. Le lézard amoureux, 2007, 94 p.
À lire si vous aimez /
Le Livre du constant désir de Leonard Cohen et Lignes aériennes de Pierre Nepveu