Sandra Rompré-Deschênes : Minuit, le soir
Sandra Rompré-Deschênes, avec La Maison mémoire, signe un premier roman pour le moins troublant.
La Maison mémoire a été lancé il y a quelque temps déjà. Pourtant, Sandra Rompré-Deschênes paraît encore légèrement inquiète. C’est que le premier roman de l’auteure originaire de Trois-Rivières ne fait pas du tout dans la dentelle. Empruntant un langage cru, il raconte le lourd pèlerinage de Flora, une obèse de 36 ans ravagée par la solitude – elle est invisible pour sa propre famille -, à travers ses douloureux souvenirs d’enfance. Un effroyable tête-à-tête avec les fantômes de la maison silencieuse d’Alphonsine, sa grand-mère paternelle morte depuis une quinzaine d’années.
"Ce n’est pas une écriture qui est propre; c’est assez cruel, accorde-t-elle. J’ai relu le livre pour la première fois depuis deux ans, hier, même si j’avais longtemps hésité. D’ailleurs, on m’avait conseillé de ne pas le faire et de passer à autre chose. Mais j’avais envie de le lire relié. Finalement, j’ai passé la nuit en questionnement: est-ce que j’aurais dû me censurer un peu? Mais je fais confiance au lecteur. J’imagine qu’il va comprendre que c’est de la création. J’ai moi-même eu un petit choc…" Sans doute avec raison. Dès la première page du livre, qui s’ouvre sur la scène d’un vieux qui fouille dans sa couche pleine de merde, la jeune femme navigue dans des zones peu confortables. "Il n’y a rien de gratuit. J’ai tout fait ça dans une optique symbolique. La mémoire, c’est, oui, une maison, mais c’est aussi une espèce de puits de boue d’où l’on sort les souvenirs un à un. Et dans la vie de tous les jours, cette boue-là, ça représente l’excrément. Même si c’est dégueulasse, ça reste humain."
En fait, pour l’écriture de La Maison mémoire, Sandra Rompré-Deschênes s’est largement inspirée de La Poétique de l’espace, essai dans lequel le philosophe français Gaston Bachelard donne une valeur symbolique à chacune des pièces d’une maison. "Ma maison, elle est construite comme un cerveau humain. Ce qui se passe dans la cave, ça correspond à l’inconscient; dans le grenier, à la conscience; la fenêtre, c’est l’ouverture sur les autres…" Une demeure campagnarde qui n’a comme seule issue que la souffrance.
Si l’auteure laisse le lecteur dans le brouillard quant au village d’Alphonsine, elle lui donne néanmoins quelques indices culturels, comme des jurons bien québécois. "Et pourtant, ça ne me ressemble pas du tout. Ma famille ne parle pas comme ça. Peut-être que ça allait mieux pour moi d’exprimer de la rage dans un langage qui n’est pas le mien", croit-elle. D’ailleurs, le roman en entier est son antithèse. "L’éditeur, quand il m’a vue arriver, il ne s’attendait pas à mon gabarit. Je l’ai vu dans son visage qu’il était étonné. Il y a d’ailleurs des éditeurs qui m’ont écrit des lettres de refus en disant que ça semblait trop autobiographique. Comme quoi ça n’a rien à voir…" souligne la jolie et délicate jeune écrivaine.
La Maison mémoire
de Sandra Rompré-Deschênes
Triptyque, 2007, 176 p.
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Marie-Claire Blais