Douglas Coupland : La vie après la vie
Douglas Coupland poursuit sa radiographie de notre époque et de ses maux, s’intéressant plus particulièrement, cette fois-ci, à l’insidieuse mécanique de la solitude.
Liz Dunn est cette passante incolore que vous croisez sans même la remarquer. Liz Dunn est cette collègue grassouillette et effacée dont la vie hors du bureau est la dernière de vos préoccupations. Liz Dunn est cette voisine dont votre mémoire ne prend même pas la peine d’enregistrer les traits, encore moins le nom.
Liz Dunn est toutes ces filles-là, et c’est précisément pour son non-intérêt initial que Douglas Coupland l’a placée au centre de son nouveau roman, Eleanor Rigby, une plongée dans la solitude d’un être qui fonctionne dans le monde mais dont le monde paraît pouvoir se passer sans problème. "J’avais l’impression d’être une pierre magique qui, lorsqu’on la jette dans l’eau, ne ride pas la surface." Or la méthode Coupland est connue: l’écrivain canadien aime exposer une situation a priori immuable, pour bientôt montrer à quel point, dans la vie, rien n’est joué d’avance.
L’élément déclencheur, ici, aura pour nom Jeremy. Un jeune homme de vingt ans qui fait soudainement irruption dans la vie de Liz, et dont les origines sont bien la preuve que l’histoire de cette employée de la Landover Communications Systems n’est ni aussi fade ni aussi lisse que ce que laissent entendre les apparences: Jeremy est le fils de Liz. Vous avez bien lu. Sans en dire trop – mais de toute façon il ne s’agit que du premier rebondissement d’une longue liste -, disons simplement que Liz était revenue d’un voyage scolaire à Rome, vingt ans plus tôt donc, alors qu’elle en avait seize, avec une surprise d’origine fort nébuleuse au creux du ventre, dont elle s’était départie au terme d’une grossesse entièrement camouflée par ses rondeurs naturelles.
Avec cet enfant retrouvé, Liz développe une complicité immédiate. Tous deux ont en commun de cultiver un oeil pessimiste mais amusé sur leurs semblables et de détenir quelques talents étranges, comme celui de pouvoir chanter n’importe quelle chanson à l’envers, au pied levé. Jeremy a beau être malade, condamné par une sclérose particulièrement virulente, sa présence va faire craquer la coquille qui étouffait la vie de sa mère.
On reconnaît vite la petite musique de Douglas Coupland. On retrouve avec une joie un peu moqueuse son sens de la formule, qui ne va pas sans tics, or l’auteur des romans cultes Génération X et Toutes les familles sont psychotiques signe, avec Eleanor Rigby, l’un de ses livres les mieux menés, une histoire formidablement construite – on a déjà vu l’auteur un peu bavard, captivant mais éparpillé. Et puis les dernières pages sont d’une grande poésie, d’une grande humanité, sans doute les plus belles qu’il ait jamais écrites.
Eleanor Rigby
de Douglas Coupland
Éd. Au diable vauvert, 2007, 308 p.
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